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Mes 120 films préférés (top 20 + 100)

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La palme revient à deux cinéastes différents, chacun ayant sept films dans la liste! Billy Wilder, alors que je n'ai même pas encore vu toute sa filmo, et Roman Polanski avec déjà quatre films rien que dans le top 20! À la seconde place se trouvent, avec cinq films cités, Stanley Kubrick et[...]

Les titres de films

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Souvenons-nous du succès de Sexe, mensonges et vidéo (Sex, Lies and Videotape, 1989), titre génial d'un film indépendant, grâce auquel a démarré la carrière de son jeune réalisateur, Steven Soderbergh, et qui a refroidi plus d'un spectateur venu à la séance spécialement pour le titre...[...]

What's My Line? (1950-1967)

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Initialement intitulée Occupation Unknown, What’s My Line? était une émission proposée en "prime time" par CBS de 1950 à 1967, qui connut plusieurs versions internationales. Aux États-Unis où elle est née, elle demeure l’émission ludique qui a duré le plus longtemps. Il s’agissait pour un[...]

Un Après-midi à Paris (Romain Lehnhoff, 2011)

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Mon premier court-métrage professionnel est à présent en ligne. Wojciech Kilar, célèbre compositeur de bandes originales (dont le Dracula de Coppola ou plusieurs films de Polanski tel que Le Pianiste) et auteur du thème présent dans mon court-métrage, m'a amicalement cédé les droits pour[...]

Querelles entre cinéastes [M.A.J. juillet 2012]...

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Certains metteurs en scène ne se privent pas pour dire ce qu’ils pensent haut et fort de leurs confrères et de leurs films, ou de partager leurs mésententes. Bien sûr, ça fait toujours un peu de peine de voir nos cinéastes préférés se tirer dessus à boulets rouges, mais cela peut aussi s'avérer[...]

Mes 200 films préférés de tous les temps (top 2012)

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PAR ORDRE DE PRÉFÉRENCE Top 3: 1. Le Locataire (1976) Roman Polanski: Le meilleur film de tous les temps pour moi. Il demeure à mes yeux le plus réussi qui soit en terme d'écriture (le duo Gérard Brach / Roman Polanski au top), d'adaptation (très bon roman de Roland Topor d'origine), de[...]

Les stars et leurs chats

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À l'approche des fêtes et étant totalement dénué de motivation à écrire un texte sur le cinéma (depuis un moment d'ailleurs, exceptés mes films du mois), je vous propose un article qui ne sert pas à grand-chose. Certes. Mais il ravira certainement les amateurs comme moi de clichés comprenant[...]

La Tour Eiffel dans les affiches de cinéma

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Paris. Les rues populaires, les repaires d'artistes bohèmes, les étudiants à la terrasse des cafés, les danseuses du Moulin Rouge... L'atmosphère (atmosphère...) parisienne romantique, qui n'existe plus vraiment aujourd'hui, a servi maintes fois de décor au cinéma pour les cinéastes les plus illustres. Les affiches de films (surtout américains) ont souvent utilisé la Tour Eiffel comme symbole de notre chère patrie, espérant peut-être conquérir un public rêvant de la "ville lumière" (nom étonnant aujourd'hui pour une capitale à n'avoir même plus son feu d'artifices à minuit la nuit de la Saint Sylvestre). Depuis 1889, date de son édification (j'évite le mot "érection", désolé), le clou de l'Exposition Universelle n'en finit pas de faire rêver (French Kiss, Ratatouille), d'être le théâtre de scènes de crime (L'Homme de la tour Eiffel) et d'action (Dangereusement vôtre), voire de se faire purement et simplement détruire à grands coups d'effets spéciaux (Independance Day, Armageddon). Voici ma petite liste d'une trentaine d'affiches comprenant la Tour Eiffel, qui ne se veut évidemment pas exhaustive, l'exercice serait un peu vain. On parle quand même d'un monument certainement exploité des centaines de fois sur les affiches, et pas uniquement pour le meilleur...

 

(Cliquez sur les images pour les voir en grand format.)

fantomas La Famille Klepens

Fantômas, à l'ombre de la guillotine (1913) de Louis Feuillade, La Famille Klepkens (1929) de Gaston Schoukens.

 

verdouxMonsieur Verdoux (1947) de Charles Chaplin.

 

Fantomas tour

Fantômas (1947) de Jean Sacha, L'Homme de la Tour Eiffel (1949) de Burgess Meredith.

 

adresse...Sans laisser d'adresse (1951) de Jean-Paul Le Chanois.

 

americain.jpgUn Américain à Paris (1951) de Vincente Minnelli.

 

Au Diable la vertu ballon

Au Diable la vertu (1952) de Jean Laviron. Le Ballon rouge (1956) de Albert Lamorisse.

 

derniere.jpgLa Dernière fois que j'ai vu Paris (1954) de Richard Brooks.

 

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La Traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara, Anastasia (1956) d'Anatole Litvak.

 

montpi.jpgMonpti (1957) d'Helmut Käutner.

 

funnyface Funny Face

Drôle de frimousse (1957) de Stanley Donen.

 

parisienne.jpgLa Parisienne (1957) de Michel Boisrond.

 

Im 6 stock irma

Im sechsten Stock (1961) de John Olden, Irma la Douce (1963) de Billy Wilder.

 

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Bon voyage (1962) de James Neilson, Du Rififi à Paname (1965) de Denys de La Patellière.

 

paris.jpgParis brûle-t-il? (1966) de René Clément.

 

jackJack Of Diamonds (1967) de Don Taylor.

 

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Baisers volés (1968) de François Truffaut, Vivement dimanche (1983) de François Truffaut.

 

view.jpgCertainement la pire affiche de cette liste, mais néanmoins elle ne ment pas sur le brushing de Roger Moore: Dangereusement vôtre (1985) de John Glen.

 

Un Monde sans pitié connaitchanson

Un Monde sans pitié (1989) d'Éric Rochant, On connaît la chanson (1997) d'Alain Resnais.

 


Guet-Apens (The Getaway, Sam Peckinpah - 1972) [MAJ]

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GUET-APENS (The Getaway, 1972).  
Avec Steve McQueen, Ali MacGraw, Al Lettieri, Ben Johnson, Sally Struthers, Bo Hopkins. Scénario de Walter Hill, d'après le roman de Jim Thompson, The Getaway (publié en France sous le titre Le Lien Conjugal, 1959). Musique de Quincy Jones. Photographie de Lucien Ballard. Produit par First Artists. Réalisé par Sam Peckinpah.
 
Criminel endurci, le détenu Carter "Doc" McCoy (Steve McQueen) ne supporte plus la vie carcérale dans laquelle il se morfond depuis plusieurs années. Grâce à l'appui de sa femme Carol (Ali MacGraw), le shérif Jack Benyon (Ben Johnson) accepte d'aider Doc McCoy à obtenir sa liberté. En échange, le malhonnête représentant de l'ordre fera chanter le couple, en lui confiant la réalisation d'un hold-up de banque.
 

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The Getaway, polar solide, efficace et anticonformiste, superbement photographié par Lucien Ballard, est peut-être le film le moins personnel du réalisateur. Inégal, jonglant entre scènes de violence sèches et moments plus sereins, il reste cependant un spectacle absolument remarquable (surtout au vu des circonstances qui ont amené le réalisateur à bafouer malgré lui le roman d'origine). Retour sur la genèse d'un des plus grands succès commerciaux de Sam Peckinpah...
 
thompsonÉcrivain génial resté fauché toute sa vie, auteur de polars noirs et amers aujourd'hui célèbres, Jim Thompson a dépeint dans The Getaway (publié en France sous le titre Le Lien conjugal) la sanglante cavale d'un couple de fugitifs parmi les plus marquantes de la littérature.  
Paru en 1959 à petite échelle (ce qui sera hélas toujours le cas dans sa carrière), il retiendra l'attention de Sam Peckinpah, alors tout jeune scénariste et réalisateur pour la télévision, fasciné par la perversité et la noirceur du roman. Malheureusement Peckinpah ne réunira jamais la somme nécessaire pour les droits et se résoudra à laisser tomber le projet, la mort dans l’âme.
Selon Robert Polito, auteur d'un excellent livre sur Thompson (Savage Art: A Biography of Jim Thompson), le réalisateur Samuel Fuller, autre fan de la première heure qui aurait lui aussi aimé adapter ce roman, a déclaré qu'il s'agissait de "la meilleure histoire de gangsters jamais écrite", si bien construite qu'on pourrait "la filmer telle quelle"...
Au cours de sa vie, Jim Thompson a connu une expérience plutôt malheureuse avec le septième art. Malgré son travail important sur le scénario de L'Ultime razzia (The Killing, 1956), son nom sera remplacé au générique du film par celui de son réalisateur, Stanley Kubrick, réalisateur peu enclin au partage en matière de renommée. Le film relègue Thompson à "dialoguiste additionnel" et ne fera pas décoller sa carrière. Il fera néanmoins démarrer pour de bon celle du cinéaste.
Toutefois, les deux hommes retravailleront ensemble sur Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1957). Le succès du film n’apporte toujours pas la notoriété méritée à l’écrivain. Thompson abandonne le cinéma pour se consacrer à l'écriture de romans, même s'il a beaucoup de mal à en vivre... De nouveau au fond du gouffre à la fin des années soixante, il envoie ses manuscrits à plusieurs compagnies de productions cinématographiques dans l'espoir de négocier un contrat. C'est ainsi que David Foster, producteur de John McCabe (McCabe & Mrs. Miller, 1971, Robert Altman), découvre l'histoire de The Getaway et entrevoit d'emblée son potentiel.
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Il engage aussitôt l'écrivain pour adapter son intrigue en scénario. Thompson l'écrit en quatre mois, en restant très proche de son histoire originale, conservant notamment l'épisode surréaliste du dernier chapitre: les McCoy, fugitifs, finissent dans un village mexicain, El Rey, enceinte très fermée réservée à une colonie criminelle en marge de la justice, qui cache en réalité un enfer peu enviable où ceux qui arrivent finissent soit asservis, soit exécutés...
 
Bob EvansUne fois le script de Thompson bouclé, Forster va le soumettre à Robert Evans. À l'aube des années soixante-dix, "Bob" Evans est l'un des hommes les plus puissants d'Hollywood. Producteur de grands succès comme Rosemary's Baby (Roman Polanski, 1968) ou de Love Story (Arthur Hiller, 1970) qui ont sauvé la Paramount de la faillite, il rattrape son manque d'expérience dans le cinéma par un flair hors pair. 
Evans trouve qu'il s'agit d'un très bon sujet et le propose rapidement à l'acteur Steve McQueen, alors au creux de la vague depuis Bullitt (Peter Yates, 1968). McQueen s'y intéresse à son tour.
Au même moment, Bob Evans se lance dans une autre production qui lui prendra vite tout son temps, celle du Parrain adaptée de Mario Puzo que va réaliser Francis Ford Coppola, délaissant plus ou moins The Getaway. Du coup, Steve McQueen décide de prendre les choses en main. En effet, l'acteur vient de rejoindre la société de production First Artists (créée en 1969 par Barbra Streisand, Sidney Poitier et Paul Newman) et se propose pour co-produire le film.
Une des premières décisions de McQueen est de virer Jim Thompson. McQueen n'aime ni sa vision pessimiste (notamment la fin à El Rey qu'il juge trop déprimante), ni le style d'écriture, plus bavard que porté sur l'action. Le cinéma ne veut décidément pas de Thompson dans ses rangs...
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McQueen propose à la fois la réécriture et la réalisation à Peter Bogdanovich, alors au sommet de sa gloire avec des films comme La Cible (Targets, 1969) et La Dernière séance (The Last Picture Show, 1971) dont il termine le montage mais qui est d'ores et déjà annoncé comme un futur chef-d'œuvre. Pour l'aider à retravailler le scénario, Pony Platt, son épouse d'alors qui monte ses films et exerce sur sa carrière une influence considérable (même déterminante), lui propose un scénariste débutant dont elle apprécie le talent: Walter Hill.
Bogdanovich compte bien donner le rôle de Carol McCoy à sa muse, l'ex-top modèle Cybill Sheperd, actrice au physique avantageux (mais au jeu médiocre), et surtout pour laquelle Bogdanovich est fou amoureux (son mariage n'y résistera pas). Elle jouait déjà un des rôles principaux dans La Dernière séance.
De son côté, Bob Evans vit également une histoire d'amour très fleur bleue avec Ali MacGraw, sa star de Love Story qu'il vient d'épouser. Craignant de la laisser trop longtemps loin des écrans, il souhaite, lui aussi, lui offrir le rôle de Carol McCoy...
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Junior BonnerPendant ce temps, Steve McQueen tourne Junior Bonner, le dernier bagarreur (1971) réalisé par Sam Peckinpah. Les deux hommes se sont déjà rencontrés six ans auparavant, sur le tournage du Kid de Cincinnati (The Cincinnati Kid) que Peckinpah a commencé à mettre en scène avant d'en être évincé (au bout d'à peine une semaine de tournage) par le producteur Martin Ransohoff. Les images tournées en noir & blanc par Peckinpah n'ont pas été gardées dans le montage final. Sur cette seule semaine de tournage, les rapports entre Peckinpah et McQueen étaient désastreux.
Manifestement, ça ne les a pas dérangés pour retravailler ensemble. Même qu'à présent... ils s'apprécient. Pendant que McQueen tourne Junior Bonner avec Peckinpah, Bogdanovich décide de quitter le projet de The Getaway, préférant réaliser une comédie avec Barbra Streisand et Ryan O'Neal: On s'fait la valise, docteur? (What's Up, Doc?, 1972).
Junior Bonner sort dans les salles et fait un bide.
McQueen et Peckinpah recherchent désespérément un nouveau succès. Fort de leur nouvelle entente et de l'admiration qu'ils éprouvent dorénavant l'un pour l'autre, l'acteur en vient fort logiquement à proposer la réalisation de The Getaway à un Peckinpah fou de joie.
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Mais le bonheur est de courte durée: Sam Peckinpah découvre le script de Walter Hill. Le protégé de l'(ex) épouse de Bogdanovich a édulcoré le livre, au point d'en diluer tout ce qui faisait la noirceur et le pessimisme chers à Jim Thompson, et le concluant par un "happy end". The Getaway n'est plus hélas qu'un scénario de série B ordinaire. Le cinéaste accepte cependant de le tourner en espérant pouvoir lui redonner de son mordant d'origine...
Une des grandes différences entre le film et le livre est d'emblée son duo principal. Au fur et à mesure des pages et du périple cauchemardesque jusqu'au Mexique, le lecteur se rend compte du délitement du couple McCoy, de la corrosion subtile et progressive de leur confiance mutuelle, pour finir par découvrir leurs motivations intimes. Thompson alterne de façon à ce que le lecteur prenne parti pour l'un puis pour l'autre. Dans le scénario de Walter Hill, ce schéma disparaît totalement. Cela démarre surtout par une explosion brutale de jalousie (qui n'existe pas dans le roman), pour finir par s'arranger dans une dernière partie où, redevenus amoureux et soudés, les McCoy seront prêts à affronter les dernières embûches avant la liberté.
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Sam PeckinpahConcernant ces deux protagonistes et leur psychologie, Peckinpah ne peut évidemment rien changer sans le consentement de la production, et de Steve McQueen. Il se concentre alors sur les personnages secondaires, principalement le ménage à trois sadomasochiste entre le couple de vétérinaires pris en otage et le redoutable Rudy Butler (auquel Al Lettieri prête sa trogne de truand -un truand qu'il est d'ailleurs à la ville).
Pour le casting des seconds rôles, le réalisateur rameute sa troupe de comédiens plus patibulaires les uns que les autres: Dub Taylor, Ben Johnson et le jeune Bo Hopkins, ainsi que des nouveaux venus comme Jack Dodson, John Bryson ou Richard Bright. Le film est tourné quasiment de manière chronologique, ce qui est assez rare.
Dès le tout-début du tournage, Peckinpah s'entend mal avec sa vedette. McQueen digère mal la scène de douche collective en prison, tournée avec de vrais délinquants sexuels dangereux. L'humeur de l'acteur est plus exécrable encore en raison de sa grande consommation d'héroïne.
Heureusement, l'atmosphère s'adoucira au moment de l'arrivée d'Ali MacGraw. L'actrice installera une relative sérénité entre les deux hommes. Et si la toute jeune épouse de Bob Evans ne sait ni manier un pistolet, ni même conduire une voiture alors que son rôle l'exige, elle peut compter sur des cours accélérés hors tournage avec un spécialiste en ces deux matières... Steve McQueen.

 

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Steve McQueen, Ali MacGraw et Sam Peckinpah


getaway02Il y a entre Steve McQueen et Ali Macgraw une alchimie qui s'opère et naturellement, l'idylle entre les deux vedettes (chacune mariée) n'a pas tardé à naître. La nouvelle de la liaison adultère s'est vite répandue.
McQueen ne supporte pas la pression médiatique et se montre abominable avec toute l'équipe. Rapidement, le plateau est submergé par des paparazzis ou est survolé par des hélicoptères de la presse. Dorénavant, s'ajoute aux pires craintes de Peckinpah celle de voir débarquer sur son plateau le producteur Bob Evans fou furieux.

Mais ce dernier est beaucoup trop pris par l'entassement des problèmes de production avec Coppola, Brando et Pacino, qu'il préfère rester enfermé dans les salles de montage du Parrain, et tant pis pour son mariage.

Les affaires de cœurs font également partie des intérêts personnels de Peckinpah. Le cinéaste vit une relation de couple difficile et épisodique avec Joie Gould, qu'il vient à peine d'épouser et qui lui demande déjà le divorce. Le réalisateur sombre plus intensément dans l'alcool et la drogue sous le prétexte que, lorsqu'il est sobre, il n'arrive pas à mettre en scène.

   

Dans les derniers plans du film, qui sont également les derniers tournés, le couple McCoy est conduit au Mexique par un cowboy interprété par Slim Pickens, un vieux complice de Peckinpah. Sur les indications du réalisateur, il improvise un plaidoyer sur le mariage et la fidélité dans le couple. Les deux stars grincent des dents.

Notons qu'au niveau improvisation, la violente séquence de gifles infligées par Doc McCoy à Carol n'a pas été préparée, en témoigne la réaction choquée d'Ali MacGraw visible dans le film. 

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Le tournage s'achève avec un retard de six jours et trois cent mille dollars de dépassement de budget (plus ou moins compensés par l'abandon du salaire d'Ali MacGraw sur les conseils de Steve McQueen, en échange d'un pourcentage sur les bénéfices éventuels).

Trois mois de travail au montage plus tard, Sam Peckinpah présente The Getaway à un Steve McQueen loin d'en être réjoui. L'acteur compte bien profiter de son rôle prédominant sur cette production pour lui faire subir les coups de ciseaux qu'il souhaite.

D'abord, il enlève la musique de Jerry Fielding, le fidèle compositeur de Peckinpah, et fait appel à un musicien plus dans l'air du temps, Quincy Jones. McQueen fera aussi quelques modifications finalement mineures sur le montage.

Le film sortira en 1972 et fera un carton, figurant comme l'un des plus grands succès de la carrière de Sam Peckinpah. En tout, The Getaway a cumulé quarante millions de dollars de recettes à travers le Monde, remettant les carrières et du réalisateur et de son comédien sur les rails...

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Force est de reconnaître que Sam Peckinpah a su s'approprier le matériau de Walter Hill avec tout de même une sacrée aisance. Quand bien même, qu'il s'agisse du thème de la traque de malfaiteurs, de la dégradation du couple (qui est une récurrence autant dans sa filmographie que dans sa vie privée), de l'individualisme forcené, ou cette notion de "frontière mexicaine" que les fuyards doivent traverser pour être libres (et qui relie le film au western), nous retrouvons les éléments propres à son cinéma. Ce n'est absolument pas le film dont Peckinaph a rêvé de tirer du roman de Thompson, c'est certain. Mais le réalisateur s'en sort efficacement.

Ce qui rend The Getaway version 72 meilleur que la plupart des autres films d'action et, bien entendu, supérieur à son affligeant remake de 1993 par Roger Donaldson (toujours basé sur le scénario de Walter Hill et non sur le livre), c'est évidemment la mise en scène impeccable et désarmante de Sam Peckinpah. getaway00.png

Qu'il filme un "gunfight" dans un hôtel texan à des vitesses de défilement variées, ou une altercation face à deux policiers durant laquelle Doc McCoy dégommera avec un plaisir sadique leur Plymouth à coups de fusil à pompe, le cinéaste prouve qu'il assure toujours derrière la caméra. (Remarquons, parmi les ennuyeuses scènes d'action du remake, que l'insipide Alec Baldwin/McCoy n'a qu'un seul coup de feu à tirer pour faire exploser -littéralement- les véhicules de police!) Beaucoup de cinéastes essaient encore aujourd'hui d'imiter la marque de fabrique de Peckinpah. Jouant comme à son habitude sur la dilatation et la contraction du temps, il arrive à en dire plus sur la psychologie de ses personnages qu'une centaine de lignes de dialogues.

Rythmant parfois l'image sur le son d'autres scènes chronologiquement passées ou futures, le cinéaste utilise avec une maestria fascinante le montage alterné et les "flash-backs"/"flash-forwards". À ce titre, nous ne pouvons que rester pantois devant la longue introduction dans le pénitencier, avec ce montage de sons réalistes particulièrement adroit, sans aucune musique. Les lieux de tournage texans, réels, éloignent également le film de la fantaisie hollywoodienne en matière de décors.

Côté distribution, l'impérial Steve McQueen livre bien sûr une interprétation efficace, équilibrant parfaitement son jeu entre le machisme et la vulnérabilité. Le king of cool fait preuve de choix extrêmement judicieux dans son célèbre sens du détail, tant d'un point de vue physique (costume-cravate noirs, coupe de taulard, lunettes teintées) que dans le jeu et l'improvisation (par exemple ce surprenant baiser furtif, très tendre, sur les doigts d'Ali MacGraw dans le bus, après un affrontement avec des policiers).

 

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Ali MacGraw, Sally Struthers, Steve McQueen et Al Lettieri


Ali MacGraw est malheureusement le choix le plus fade du film. Bien qu'il y ait dans le roman une confrontation entre l'amateurisme de la jeune femme et le professionnalisme froid du mari, Carol Ainslee McCoy est un personnage plus complexe qui aurait mérité une actrice avec un vrai tempérament, une personnalité plus forte pour l'incarner comme Jane Fonda ou Faye Dunaway (même si cette dernière, fidèle à sa réputation, aurait sûrement amené de nouveaux problèmes à la production).

Avec son talent limité et sa gentille tête de reine de beauté, la comédienne n'arrange pas les objectifs de Peckinpah, Walter Hill ayant déjà laissé le personnage largement en retrait au profit du mari. getaway03Toutefois, je trouve qu'elle a plus de charme que la pourtant très sexy Kim Basinger du remake.

Le film présente des moments plus posés, parmi lesquels nous noterons surtout la très belle scène réaliste des retrouvailles au lit entre Doc et Carol: les années passées sans se voir les rendent incapables de faire l'amour.

Au niveau du spectacle, la séquence très hitchcockienne de la gare, avec le vol de l'argent et la poursuite dans le train, est une des plus réussies du cinéma de Peckinpah. Et puis comment ne pas citer cette superbe fusillade dans l'hôtel à la frontière mexicaine? Munis de leurs colts et fusil à pompe, Doc et Carol affrontent une bande de malfrats étage par étage.

Cela restera une séquence anthologique qui influencera plus d'un réalisateur de films d'action, dont le plus connu est John Woo.

Au final, si ce n'est pas un chef-d'œuvre, The Getaway demeure un bon film, explosif, brillamment mis en scène et interprété, et qui vaut largement le coup d'œil. Espérons néanmoins qu'un jour cette histoire tirée d'un très bon roman donnera une adaptation cinématographique plus fidèle, faisant des McCoy le véritable couple maudit qu'il devrait être...

 

Affiches :

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Autres images du film :

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Tess (Roman Polanski - 1979)

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À la fin du XIXème Siècle, dans le Dorset, comté au Sud-Ouest de Londres, Jack Durbeyfield (John Collin), misérable revendeur du village de Marlott, apprend fortuitement qu'il descend d'un noble lignage. Il envoie Tess (Nastassja Kinski), l'aînée de ses nombreux enfants, faire la connaissance de ses supposés cousins, les d'Urbervilles, riches propriétaires terriens de la commune de Trantridge. Ces derniers l'engagent pour s'occuper du poulailler. Le fils de la famille, Alec (Leigh Lawson), poursuit Tess d'une cour pressante et finit par la conquérir de force. Elle s'enfuit et retourne vivre dans son village. Elle accouche d'un enfant qui décède. Plus tard, Tess trouve un travail dans une ferme laitière où elle fait la connaissance d'Angel Clare (Peter Firth)...

 

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« Roman préfère ne pas parler de ce qu'il lui est arrivé aux États-Unis. Mais moi qui le connais bien, je sais qu'il n'est plus tout à fait le même. Plus grave, plus mûr, plus réceptif. Cela se sent dans Tess (Gérard Brach dans Polanski par Polanski). »

 

À la sortie de Tess, la majorité des critiques est conquise, éblouie par Nastassja, par le film et le travail d'adaptation des scénaristes. Cependant, certains manifestent ouvertement le regret que Roman Polanski se situe en recul par rapport à son œuvre antérieure, du point de vue du morbide et de l'effrayant. Le réalisateur a répondu à ses détracteurs par un argument sociologique. Dans les années soixante, ce qu'il mettait en scène était inédit sur les écrans car la société de l'époque interdisait le genre d'audaces ou la violence de ses films. Par contre, à la fin des années soixante-dix, la tendance sur les écrans occidentaux est celle de la surenchère d'hémoglobine, de violences physiques, de sexe, d'angoisse et de distorsions optiques ou musicales, au point que le cinéaste, invité sur le plateau de Question de temps en 1979, dit à Jean-Pierre Elkabbach en être écœuré. Polanski préfère fournir au public l'amour romanesque, la tendresse et les sentiments humains profonds et universels qui font alors cruellement défaut dans les salles, avec une économie d'effets presque choquante pour l'époque, réalisant son film de la maturité et son premier film d'amour.

 

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Thomas HardyNé en 1840 dans le Dorset, la région où se situe l'histoire, l'auteur du roman, Thomas Hardy, a commencé par apprendre le métier d'architecte. Dans les années 1860, il travaille à Londres. Il y observe la montée triomphante de l'ère Victorienne et les mutations qui l'accompagnent sur fond d'hypocrisie morale et d'injustice sociale. Il écrit ses premiers romans à partir de 1871. En tout, il en publiera quatorze jusqu'à Jude l'obscur en 1895, avant de se consacrer à la poésie. Il dictera son dernier poème à sa femme sur son lit de mort en 1928. Son œuvre la plus connue, avec Jude l'obscur, demeure Tess of d'Urbervilles qui porte en sous-titre: "Une femme pure, fidèlement présentée par Thomas Hardy". Le roman a d'abord été publié par épisodes à partir de 1891, dans divers journaux et revues, ce qui explique partiellement la double tendance épisodique du récit et mélodramatique de l'histoire. Deux premières adaptations cinématographiques, toutes deux intitulées Tess Of d'Urbervilles, ont été tournées du vivant de Hardy. La première, mise en scène en 1913 par J. Searle Dawley, a été totalement perdue. La seconde, réalisée par Marshall Neilan en 1924, a désespéré Hardy car la fin a été transformée en happy end. David O. Selznik, glorieux producteur d'Autant en emporte le vent, La Maison du docteur Edwardes, Le Troisième homme... rachète les droits et caressera toute sa vie le projet de l'adapter. Il propose l'adaptation notamment à Carol Reed qui refuse, faute d'un scénario digne de ce nom (bien lui en a pris puisqu'il signe Le Troisième homme à la place). Claude Berri, réalisateur, producteur et distributeur ami de Roman Polanski, lui rachète les droits avant que l'œuvre ne tombe dans le domaine public. Berri et Polanski décident de tourner Tess en 1978 mais le projet était bien avant dans l'air...

 

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C'est par l'entremise de Sharon Tate, son épouse assassinée en 1969 et à qui le film est dédié, que Roman Polanski a pris connaissance du livre, le jour-même où il se voient pour la dernière fois. Lui, reste à Londres pour préparer un film, Un Animal doué de raison (qu'il ne tournera finalement jamais), elle, retourne par la mer aux États-Unis pour y accoucher (elle est dans son huitième mois), en lui disant qu'elle a laissé le livre de Hardy dans leur chambre à son attention, en ajoutant qu'il ferait un bon film.  Polanski porte donc ce projet impossible en lui depuis déjà dix ans quand Berri lui propose de le produire, à son retour des États-Unis où ses déboires judiciaires l'empêchent de poursuivre la pré-production du Premier péché mortel.

 

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Le travail d'adaptation réunit à nouveau le fidèle Gérard Brach et Roman Polanski. John Brownjohn développe la version anglaise du scénario. Il faut bien sûr faire des coupures à cause de la longueur du livre. Selon les propres dires de Polanski, le principe directeur est de conserver "l'atmosphère à 100%, les péripéties à 40%", un "maximum d'émotion pour un minimum d'images." Ils accordent notamment peu d'importance au personnage de la sœur cadette, Liza Lou, qui, dans le roman, hérite de la pureté angélique de sa sœur aînée au fur et à mesure que celle-ci sombre dans la déchéance. Ils gomment plusieurs scènes, comme l'accident mortel de l'unique cheval des Durbeyfield par la faute de Tess, mais aussi en écrivent de nouvelles pour rendre l'histoire plus visuelle ou plus intense, en modifiant de temps en temps la scénographie indiquée par le livre. Ils suppriment tout le romantisme échevelé et évitent les grandes scènes naïves (ce qui est acceptable au niveau de la sentimentalité dans la littérature du XIXème siècle ne l'est plus forcément de nos jours).

 

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Le début de Tess est l'exemple d'un ingénieux savoir-faire au niveau de l'écriture par Brach et Polanski, comme dans la mise en scène. L'ouverture du film est une grande séquence d'abord fixe puis mobile, tournée entre chien et loup ce qui s'ajoute aux difficultés, et qui demeure un des plus beaux plans-séquences de la carrière du cinéaste. Les scénaristes ont légèrement modifié l'ordre du livre pour introduire efficacement le film avec l'arrivée du cortège de jeunes filles. En trois minutes, le spectateur se retrouve plongé dans la campagne normande au printemps, découvre l'innocence et la pureté de la jeune fille, et est lancé dans l'intrigue avec le pasteur vaniteux et bavard croisant sur son chemin l'ivrogne faible d'esprit. Cette simple rencontre, au demeurant anodine, va changer la vie de Tess en tragédie. Deux routes se croisent, un simple décalage peut éviter cette rencontre et empêcher l'histoire, c'est l'ironie du destin.

 

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Tess est un personnage vulnérable, élevée dans un esprit de soumission, mais gardant une certaine fierté à l'intérieur de sa dépendance. Elle accepte les évènements jusqu'au moment où elle assassine un homme, et où sa rébellion la fait basculer dans un autre monde. La révolte de Tess est toujours présente mais intériorisée, inexprimée, car elle ne pense pas qu'elle peut changer l'ordre des choses... Nastassja KinskiLe problème de taille qui s'est posé à tous ceux qui ont eu envie de faire Tess avant Polanski, notamment Selznik, a toujours été l'actrice. Il faut qu'elle soit capable de jouer le rôle en étant à la fois jeune (dix-sept, dix-huit ans) et avec un talent déjà remarquable. La fille de l'acteur Klaus Kinski, Nastassja, a menée avec sa mère une vie de nomade, allant d'hôtel en hôtel, acquérant très tôt une expérience de la vie qui semble fixée dans son regard. Elle a déjà tourné quelques films quand elle rencontre Roman Polanski pour la première fois, à Munich, en 1976. Leur relation défraiera plus tard la chronique (elle a quinze ans à ce moment-là) lorsque Polanski sera impliqué dans son affaire de mœurs hollywoodienne, mais tous deux démentiront publiquement leur liaison pour calmer les médias. À leur rencontre, Polanski n'a aucun film précis en tête, mais subjugué par sa beauté et sa présence, il lui fait quand même signer un contrat. Sous son parrainage, elle apprend à parler correctement anglais aux États-Unis et suit des cours de comédie sous la direction de Lee Strasberg. Lorsque débute la production de Tess avec Claude Berri, elle part dans le Dorset en tant qu'élève fermière, afin de se familiariser avec les gestes, le dialecte du comté et l'accent. Tess a lancé sa carrière. Avec son physique de cinéma, fin et capable d'émouvoir sans même bouger, Nastassja Kinski livre une composition sobre, naturelle et convaincante, donnant indiscutablement une immense crédibilité ainsi qu'une profondeur et une tristesse intenses à ce personnage de fille-mère dont le rayonnement intérieur domine la lâcheté des hommes.

 

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La courte séquence où Tess découvre Le Capital au chevet d'Angel Clare permet de désigner ce dernier comme "marxiste" (dans le livre, Thomas Hardy n'évoque jamais Marx mais un livre que commande Angel au libraire du village, contenant un nouveau système philosophique et qui bouleverse son père). L'idéaliste Angel se dit libre penseur. Pourtant, il devient soudainement l'intolérance incarnée, en apprenant avant sa nuit de noces que Tess ne correspond pas tout à fait à l'image qu'il s'est forgé d'elle. Il va jusqu'à la repousser et s'exiler au Brésil plusieurs années, sans donner aucune nouvelle. Comparé à Angel, Alec est un personnage plus honnête dans son cynisme et plus séduisant. Sorte de dandy élégant, avec une attitude décontractée, toujours bien coiffé et bien habillé, représentant la tentation à laquelle Tess résiste, Alec est une "variation laïque du Diable" pour reprendre les mots de l'homme de lettres bordelais Jacques Rivière. Peut-être que Thomas Hardy a appelé le deuxième personnage "Angel" (ange) à cause de ça.

 

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La Bretagne, région dont Polanski est amoureux, offre au film d'admirables paysages et fournit à la fois l'atmosphère de l'histoire et le climat que les auteurs recherchent. L'existence de ce film indépendant, le plus cher jamais tourné en France, doit beaucoup à Claude Berri qui a laissé de côté ses projets personnels, préférant investir tout ce qu'il a dans celui-ci. Geoffrey UnsworthTess est un film compliqué, qui doit se réaliser sur plusieurs saisons, avec un caractère d'authenticité auquel tient énormément Polanski. Malgré tout, il s'agit d'un des tournages les plus agréables pour lui, grâce notamment à des techniciens dévoués. Chaque jour ou presque offre une joie à ce cinéaste d'ordinaire confronté à des productions chaotiques. Le tournage connaîtra néanmoins un épisode douloureux. Un soir, après le tournage de la scène de danse dans la grange (une des scènes que préfère Polanski dans son film), le directeur de la photographie, Geoffroy Unsworth, décède d'un infarctus dans sa chambre d'hôtel. Toute l'équipe est affectée. Polanski le remplace pendant quelques jours à la caméra pour ne pas interrompre les prises, avant que n'arrive son remplaçant. Ghislain Cloquet est parvenu à dépasser la difficulté de s'intégrer avec les autres, et de retrouver le style du film en quelques jours. Le réalisateur dira plus tard qu'il a eu la chance de travailler avec les gens les plus fantastiques du métier.

 

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Roman Polanski est parvenu à rendre un hommage réussi à la nature féminine au-delà du désir sexuel et de la tendresse enfantine. Mais contrairement à ce qu'on pense, et qu'on dira encore à la sortie du Pianiste en 2002 concernant la guerre cette fois, ce n'est pas complètement nouveau dans son œuvre, puisqu'il a réalisé en 1959 Quand les anges tombent, court-métrage d'étudiant très élaboré qu'on peut qualifier de drame romantique. Ce petit film quasi muet condense, dans une forme particulièrement audacieuse, à la fois un hommage à la femme et à la vieillesse, et une dénonciation de la guerre plutôt courageuse étant donné l'époque et le lieu de production (la Pologne communiste de la fin des années cinquante).

 

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Quand les anges tombent (1959), Tess (1979).

 

PolanskiRevenons justement à la Pologne. Les cours d'histoire de l'art à Cracovie et la fréquentation des musées ont permis à Polanski de développer une sensibilité esthétique et d'acquérir une culture encyclopédique des toiles de maîtres. D'ailleurs, pour son premier voyage à Paris en 1957, il partagera son temps entre la Cinémathèque et le Louvre. Il n'est guère étonnant de retrouver dans ses films des références picturales plus ou moins manifestes. Comme Visconti ou Kubrick (surtout Barry Lyndon), Polanski aime s'inspirer du regard des peintres sur une période historique et sur un lieu, surtout à l'occasion d'un film d'époque évidemment. Pour Tess, il n'a pas en tête un peintre mais plutôt le climat général de la peinture anglaise du XIXème siècle, au niveau de la lumière et l'atmosphère. Sa photographie est enrichie par une documentation riche et une réappropriation tenant de l'hommage, sans tomber heureusement dans la simple citation ouverte ni une suite de plans référenciels (un des reproches les moins crédibles de la presse de l'époque consiste à dire que Tess est une succession de tableaux fixes, ce qui est faux et au final plutôt flatteur pour Polanski et la photographie du film: la caméra est constamment en mouvement, simplement de manière si subtile et si fluide que sa mise en scène en est très discrète, à l'opposé de la virtuosité inutile mais courante à l'époque).

 

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Par exemple, la scène du travail agricole pénible que Tess accepte après être retournée dans sa famille de plus en plus pauvre, évoque le français Jean-François Millet, Des Glaneuses par exemple, sans pour autant être là pour flatter l'amateur ou l'historien de l'art. Les scènes de la vie paysanne évoquent aussi les préraphaélites anglais John Everett Millais et William Holman Hunt, et on pense à John Constable ou Gustave Courbet pour les paysages, entre autres. Bien que des peintres ou des toiles soient parfois cités dans quelques tableaux ou vitraux aperçus par-ci par-là dans le film, il n'y a quasiment pas de référence explicite dans Tess. C'est plutôt dans la pose des personnages, dans le cadrage utilisé, dans le choix d'un paysage avec un soleil couchant par exemple, qu'on peut lier le film à tel artiste ou à une école. 

 

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Pour terminer, j'aimerais évoquer une des scènes suivant le mariage entre Angel et Tess, peu avant la confession, et plus particulièrement la présence d'un trucage de cinéma, le faux miroir. C'est simple sur le papier, mais coûteux (du moins pour l'époque) et nécessitant une grande préparation. Ce plan est intéressant car il est très furtif, témoignant soit du pouvoir de persuasion et d'argumentation du cinéaste, soit de la liberté dont il bénéficie particulièrement sur ce tournage. Le principe est de remplacer un miroir par une vitre, avec de l'autre côté le même décor mais recréé à l'envers, et les doublures supposées ressembler physiquement aux acteurs principaux, avec les mêmes vêtements, qui jouent la même chose de manière inversée et synchronisée. Polanski n'en est pas à son coup d'essai avec ce trucage. Il l'a déjà utilisé avec succès à deux reprises dans Le Bal des vampires (1967), dans une scène où le personnage qu'il incarne, Alfred, regarde un grand miroir où lui seul apparaît et pas le fils du comte assis à côté de lui, et dans la fameuse scène du bal où les êtres vivants sont démasqués. Dans Tess, ce trucage permet uniquement "d'effacer" dans le miroir toute l'équipe technique supposée être derrière les acteurs. On peut supposer qu'il y a là une référence à Van Eyck, peintre hollandais que Polanski admire. Les Époux Arnolfini est un tableau célèbre pour sa mise en abime du petit miroir, situé face à nous, sous l'inscription "Johannes Van Eyck fuit hic" (Jan Van Eyck fut ici), dans lequel se reproduit toute la pièce, la fenêtre offrant une vue de Bruges, les deux protagonistes et deux nouveaux personnages "à la place" du peintre.

 

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Le Bal des vampires (1967), Tess (1979).
 
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Les Époux Arnolfini (1434) de Van Eyck.

 

Présenté, perçu et admiré comme un film de la passion, ce qu'il est sans nul doute, Tess est une fable belle et tragique, d'une immense force dramatique. Polanski a réalisé un film qui a l'émotion profonde et digne des romans de Dostoïevski et des pièces de Tchekhov. Il y parvient avec retenue, sans jamais réaliser de scènes de déclarations d'amour interminables, de crises d'hystérie dans les malheurs ou des meurtres filmés avec complaisance, et en laissant plutôt une place importante à des paysages réalistes. Au plus, une scène de viol vite masquée par la brume, ou un insert sur un couteau à viande, une tache de sang grandissante au plafond et des traces rouges sur une robe, ou encore une courte colère lorsque Tess ne parvient pas à convaincre le pasteur apiculteur (probablement un jeu de mot avec "wasp" signifiant en anglais à la fois "guêpe" et "blanc protestant d'origine anglo-saxonne") de faire inhumer son bébé dans le cimetière de la paroisse, c'est tout. Magnifiquement filmé, Tess offre parfois des images d'une grande beauté poétique, comme la scène de la forêt où l'héroïne, préparant lentement sa couche à même le sol, se retrouve face à un cerf, faisant basculer ce moment en une fraction de seconde dans un autre univers.

 

Sélection de captures du film: Anne

 

Tess (1979). Un film de Roman Polanski. Scénario de Gérard Brach & Roman Polanski et John Brownjohn, basé sur le roman Tess of d'Urbervilles de Thomas Hardy. Photographie par Geoffrey Unsworth et Ghislain Cloquet. Décors de Pierre Guffroy. Musique de Philippe Sarde avec le London Symphony Orchestra (sous la direction de Carlo Salvina). Costumes d'Anthony Powell. Produit par Claude Berri et Timothy Burrill. Réalisé par Roman Polanski.

Quoi? (What?, Roman Polanski - 1973)

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Sur la Riviera italienne, Nancy (Sydne Rome), jeune Américaine sculpturale mais très naïve, est prise en stop par trois Italiens excités. Elle échappe de peu au viol mais pour mieux tomber de Charybde en Scylla en se réfugiant dans une luxueuse maison, celle de Joseph Noblart (Hugh Griffith), vieil escroc libidineux en fauteuil roulant. Le gardien, ivre, la prend pour une invitée et lui donne une chambre. Le lendemain, elle rencontre les différents habitants de la villa qui n’ont manifestement pas d’autres occupations que le ping-pong, se nourrir et baiser. Alex (Marcello Mastroianni), ancien maquereau, manifeste quelques problèmes sexuels. Il caracole autour de la chambre de Nancy, l’interroge déguisé en carabinier, ou revêt une peau de tigre en l’implorant de le fouetter...

 

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Pour reprendre une expression de Gérard Brach, What? aurait pu s’appeler Alice au pays des cochons. Nous sommes bien dans un conte mais avec des personnages joyeusement décalés: un étalon fétichiste et sadomaso, un vieux salace en chaise roulante, un obsédé à la sexualité compulsive, un prêtre fou et hypocrite, des lesbiennes dont l’une passe son temps complètement nue, un certain Giovanni qui joue du Mozart, une infirmière acariâtre, un serviteur alcoolique, etc. À la fin, l'héroïne saute dans un camion de cochons, complètement nue, une jambe peinte en bleue, pour s'enfuir de cet endroit fabuleux. Elle repart comme elle est arrivée, vers de nouvelles aventures...

 

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Après un tournage à petit budget véritablement éprouvant mais qui donnera un film très réussi, l’adaptation de The Tragedy of Macbeth (1971) d’après William Shakespeare, et afin d’oublier l’échec commercial qui a hélas suivi, Roman Polanski veut aussitôt faire un autre film, mais cette fois beaucoup plus léger, sans décor, sans costume, et même presque sans vêtement du tout. À court d’idées et à court d’argent, le réalisateur tient surtout à redémarrer sa collaboration avec Gérard Brach, après avoir travaillé sans lui sur deux films et plusieurs scénarios avortés. Jean-Pierre Rassam, alors producteur très actif et ami des deux auteurs, a très envie de retravailler avec eux et pourvoit à leurs finances, en échange de la mise en chantier d’un nouveau scénario. Ils choisissent de faire une comédie érotique. Depuis longtemps, Polanski a réfléchi sur la théorie que, au cinéma, l’idéal consiste à faire entrer si intensément le spectateur dans ce qu’il voit, que son expérience visuelle serait une approximation de la réalité vivante. Le relief est une extension de cette idée. Il dépense une partie de l’argent de Rassam pour financer des tests en 3D, souhaitant réaliser un film érotique vraiment spectaculaire. Mais malgré un résultat impressionnant, il abandonne l’idée, persuadé que des progrès restent à faire.

 

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Brach et lui se rendent à Gstaad, dans le chalet du réalisateur, où ils rédigent un premier script, baptisé Le Doigt magique, bâti autour de la production d’un film situé dans une station de sports d’hiver. Le personnage principal est un puissant producteur, inspiré à la fois de Sam Spiegel et de Leonid Moguy, qui fait subir toutes sortes de fantaisies érotiques à l’héroïne, une jeune actrice innocente, victime aussi de ses obsédés sexuels d’associés, avant de finir dans des jeux de soumission plus glauques. Le rôle du producteur a été écrit pour Jack Nicholson. L’acteur américain souhaite énormément travailler avec eux, mais il n’est pas emballé par cette histoire. Dans l’optique d’une coproduction, Rassam envoie les deux scénaristes en Italie pour rencontrer Carlo Ponti, pensant que le scénario pourrait le séduire. Il est trop tard pour réaliser un film supposé se dérouler en hiver. Ponti suggère de les défrayer pour qu’ils remanient le script et transposent l’action sur la Riviera italienne...

 

l07what01.jpgRoman Polanski et Gérard Brach sur le tournage

 
Ils se lancent dans la rédaction du scénario en écoutant en boucle La Jeune fille et la mort de Schubert  (musique qui doit rappeler quelque chose aux fans de Polanski), d'où son utilisation dans le film. La réécriture donne un script totalement nouveau. Intitulée What?, c’est devenu une histoire très caractéristique de l’absurdité et l’extravagance des années 70. Le personnage de producteur s’efface pour celui d’un milliardaire excentrique en chaise roulante, et la jeune fille innocente devient une hippie complètement cruche. Elle est inspirée d’une Américaine bien réelle, qui parcourait le Monde et était passée par le chalet de Polanski. Comme dans le film, elle emmenait toujours avec elle un journal intime, un cahier relié que Gérard Brach tentait souvent de subtiliser pour y jeter un œil. Il n’a pas été déçu en y parvenant et en découvrant cette note étonnante: "Aujourd’hui, j'ai mangé un œuf dur." Le scénario terminé plaît à Ponti qui, dans un élan de générosité, prend seul la suite des choses, les fonds que Rassam a espéré investir ne se matérialisant pas. 

 

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Ponti ne fait pas que donner de l’argent venant de sa propre poche, il prête aussi une de ses villas près de Naples qui constitue le décor principal du film. What? est un polaroid d'une époque, reflétant certains aspects de la vie personnelle de Polanski, celle d'après les meurtres de Sharon Tate et de quelques amis par la "famille" Manson, notamment une fuite dans la sexualité ludique. C'est une période qui lui apporte l'apaisement et l'envie de renouer avec une existence ordinaire. Le film est réalisé très rapidement, faisant partie des rares que le réalisateur boucle avant même la date prévue. Polanski utilise la même méthode que son ami Stanley Kubrick, pour l'exploitation internationale du film. Les scènes où des mots écrits apparaissent à l'écran sont tournées plusieurs fois, dans des langues différentes. Ici, deux extraits de la même scène en français et en italien:

 

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À l’exception de Marcello Mastroianni et du shakespearien Hugh Griffith, tous les autres protagonistes sont des amateurs ou des inconnus, la plupart membres de la jet set romaine. Le rôle de la fille a été écrit sans idée précise d’actrice capable de l’interpréter. Sydne Rome, une jeune comédienne américaine qui cherche à faire carrière en Italie, convient parfaitement pour Brach et Polanski. Ponti émet des réserves, mais elle s'avérera absolument excellente. Cette actrice ne se fera jamais vraiment connaître, poursuivant une carrière irrégulière partagée entre des films plus ou moins intéressants, tel que Just A Gigolo de David Hemmings (ex-Blow-Up) avec tout de même David Bowie, et les cours d'aérobic en vidéos comme Jane Fonda. Le personnage de Moustique ("On m'appelle Moustique parce que je pique avec mon gros dard... Qu'est-ce que vous croyez que c'est, mon gros dard?") est interprété par Polanski lui-même. Ses accrochages avec Mastroianni font partie des moments les plus drôles du film.

 

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Extrait du storyboard dessiné par Roman Polanski.

 

Polanski réalise rarement le storyboard de ses films car la période d'écriture du scénario, la recherche de fonds et la réalisation en elle-même prennent beaucoup de son temps et de son énergie. Cependant, il a recours au dessin à diverses occasions: avant le tournage, pour représenter les grandes lignes du décor, esquisser le portrait de ses personnages afin d'aiguiller les directeurs de casting, et pendant les tournages principalement dans les pays étrangers, pour se faire comprendre. Pendant qu'il fait What?, il apprend même à parler italien.

 

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What? est truffé de références sournoises et délectables, peut-être trop subtiles pour le public de l’époque. Par exemple, la scène où Nancy recoud la peau de tigre est une évocation de La Dentellière de Vermeer. On trouve une citation d’Héraclite ("On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve") ou des références picturales. Un génie de la reproduction a recréé en quelques jours les tableaux du film, dont l’immense Radeau de la Méduse de Géricault, des Bacon, Picasso, Modigliani, etc. Il y a aussi des références cinématographiques. À la fin, dans une scène de discussion délirante, Noblart parvient à convaincre Nancy de se déshabiller et d’écarter les jambes. Il en tombe raide mort, en laissant tomber une boule comme Orson Welles dans Citizen Kane.

 

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ALEX. – Reste!

NANCY. – Je ne peux pas!

ALEX. – Pourquoi?

NANCY. – Ils ne pourraient pas finir le film.

ALEX. – Quel film ?

NANCY. – Le film, nous sommes dans un film, n’est-ce pas?

La distance commence à rendre difficile leur dialogue.

ALEX. – Quoi?

NANCY. – Oui, c’est ça.

ALEX. – Quel film?

NANCY. – "Quoi?"

ALEX. – Je dis quel film?

NANCY. – "Quoi" c’est le nom du film. Adieu mon amour, je t’enverrai des cartes postales.

Extrait du scénario, dernière scène de What?

 

L’idée d’un film qui à la fin se dénonce comme film a désorienté le public comme les fans de Polanski. Cet effet de distanciation est à la fois très surprenant de la part de ce perfectionniste en constante recherche d’authenticité dans ses autres longs-métrages, et en même temps évident quand on connaît l'intérêt que porte le cinéaste pour le théâtre (art dans lequel il a débuté très jeune). Cette "brisure du quatrième mur" fait partie de la légèreté de What?. Ce n’est donc pas seulement un film intéressant pour l’aspect comique, érotique, ou le style libre très représentatif des années soixante-dix, mais aussi parce que Polanski ne réitérera jamais cette expérience un peu hors-série dans sa carrière. Le cinéaste l’a réalisé pour son plus grand plaisir mais aujourd'hui, il lui accorde peu d'importance (trois pages dans son autobiographie contre une douzaine en moyenne pour les autres films) et déclare que le scénario était meilleur que le résultat un peu guindé, pas assez inscrit dans la dérision. 

 

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L'ensemble comporte de nombreuses scènes savoureuses, bourré de clins d'œil, jouant avec les stéréotypes et portant un regard amusé et cruel sur ces fameuses années de la révolution sexuelle. C'est une fantaisie jubilatoire extrêmement bien filmée, avec une belle photographie signée notamment par Guiseppe Ruzzolini, collaborateur de Pasolini et bien d'autres grands noms italiens. À l'époque, Bernardo Bertolucci sort Le Dernier tango à Paris, ce qui ne doit pas être étranger au manque de succès de What?. Il aura une carrière modeste en Europe et sera un bide en Amérique, mais il fera néanmoins un beau score au box-office italien... Aujourd'hui, il est regrettable qu'il n'existe toujours aucune édition potable du film malgré le nom du réalisateur et la présence de Mastroianni. La seule édition disponible sur sol français est celle sortie en 2004 par René Chateau, proposant uniquement la version française, recadrée et avec une image granuleuse aux couleurs délavées rappelant le temps des VHS usées. Dommage, il s'agit vraiment d'un film à redécouvrir.

 

What? (1973) Un film de Roman Polanski. Avec Marcello Mastroianni, Sydne Rome, Hugh Griffith, Guido Alberti, Romolo Valli. Scénario de Gérard Brach et Roman Polanski. Photographie de Marcello Gotti et Giuseppe Ruzzolini. Musique de Claudio Gizzi avec des extraits de Mozart, Beethoven et Schubert. Montage d'Alistair MacIntyre. Produit par Carlo Ponti.

Le Magnifique (Philippe De Broca - 1973)

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François Merlin (Jean-Paul Belmondo) est un écrivain fauché et rêveur, auteur d'une série de romans d'espionnage ayant pour héros l'agent secret Bob Saint-Clar. On se rend compte très vite que des éléments de la vie personnelle de François réapparaissent de temps en temps dans ses histoires, humiliés, par vengeance de l'écrivain, comme les escrocs qu'il croise (l'électricien ou les plombiers), son éditeur arrogant et mondain Georges Charron (Vittorio Caprioli) qui devient le mégalo colonel Karpof, ou bien entendu son amour secret, sa voisine étrangère Christine (Jacqueline Bisset) qui devient Tatiana...

  

Cette double histoire satirique fait partie de mes grands plaisirs de cinéphile. Le Magnifique, c'est le genre de divertissement dont je connais les répliques par cœur et pourtant, je le visionne encore régulièrement, chose qui m'arrive encore dans un autre genre avec des films comme Le Locataire de Roman Polanski, ou The Thing de John Carpenter... Le scénario jongle adroitement entre des scènes disons "réalistes" dans le Paris pluvieux de François Merlin, avec ses problèmes bien concrets de dettes et de vie courante, et les séquences ensoleillées issues de son imagination, parodiant l'univers jamesbondien, où Merlin se voit dans la peau de l'agent secret au bronzage impeccable et au sourire blanc planté au milieu de la figure...

 

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D’abord intitulé Raconte-moi une histoire, puis Comment détruire la réputation du plus célèbre agent secret du Monde? (la mode est aux titres longs), ce scénario alternant donc entre la vie d’un écrivain raté et son imaginaire est une histoire très personnelle au départ, à laquelle tient beaucoup son scénariste, Francis Veber. En 1973, Veber joue beaucoup les consultants dans le cinéma. Il est ce qu'on appelle "script doctor", c’est-à-dire qu'il corrige, soigne la construction malade du scénario des autres, apporte de nouveaux dialogues... Il l'a fait pour notamment Georges Lautner (Il était une fois un flic, La Valise, Pas de problème! ou encore, bien plus tard, Le Professionnel). Il est également déjà célèbre pour avoir signé le scénario de quelques grands succès du cinéma français, pour Édouard Molinaro (L'Emmerdeur d’après sa pièce) ou Yves Robert (Le Grand Blond avec une chaussure noire). Son script du Magnifique plaît aux producteurs d'Ariane Films (Alexandre Mnouchkine, Georges Dancigers et Robert "Bob" Amon) qui décident d'en confier la réalisation à l’inégal Philippe De Broca.

 

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Quand le scénario de Veber lui parvient, De Broca annonce qu'il ne le fera pas. Son goût pour la comédie s'est dissout après le tournage de Chère Louise (1972), un drame avec Jeanne Moreau qui sera sélectionné à Cannes mais n'aura aucun succès. Après l'immense bide du film, tant critique que public, De Broca revoit la proposition du Magnifique à la hausse et revient finalement sur sa décision. La rencontre entre Veber et De Broca pour la réécriture commence mal, chacun ne comprenant pas les désirs de l'autre. Comme le décrit Francis Veber dans son autobiographie (Que ça reste entre nous, 2010), il y a entre eux une "totale incompatibilité d'humour", et il parle du cinéaste comme de son plus mauvais souvenir de scénariste. Plus tard, Veber apprend par la rumeur que De Broca aurait appelé Daniel Boulanger, son coscénariste habituel, à la rescousse. Bien que les producteurs d'Ariane Films jurent du contraire à Veber, un de ses amis lui répète une conversation entendue au même moment, disant que Boulanger est bien sous contrat chez eux pour Le Magnifique... Se sentant trahi, Veber a décidé lors de la première projection de retirer son nom du générique, et Le Magnifique se retrouve donc sans scénariste crédité au générique. Cette histoire a surtout poussé Francis Veber à réaliser lui-même ses propres scénarios par la suite...

 

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Boulanger, De Broca mais aussi Jean-Paul Rappeneau remanient l'histoire, retirant beaucoup d’éléments issus de la vie personnelle de Veber. Ils retravaillent les gags, écrivent l’histoire d’amour (alors inexistante) en approfondissant ainsi le personnage de la voisine, Christine, et transposent le décor de l’appartement d’un immeuble moderne à un vieux logement typiquement parisien dans le Marais. Pour le double-rôle principal de François Merlin et Bob Saint-Clar, De Broca voit immédiatement Jean-Paul Belmondo. C’est l'occasion de collaborer à nouveau six ans après Les Tribulations d’un Chinois en Chine, après plusieurs projets que l’acteur a refusé à cause de dates de tournage ne convenant pas à son planning, ou simplement par manque d’intérêt. Belmondo sort du tournage de L'Héritier de Philippe Labro et vient de décliner l’offre, pourtant alléchante, de retourner sur les planches (il n'a pas joué au théâtre depuis 1959). On lui a en effet proposé de reprendre le rôle que tenaient Kirk Douglas à Broadway et Jack Nicholson au cinéma, dans la version française de Vol au-dessus d’un nid de coucou d’après Ken Kesey. De Broca et Belmondo, c'est une histoire qui dure sur six films dont quelques triomphes : d'abord Cartouche en 1962, puis L'Homme de Rio en 1964, Les Tribulations d’un Chinois en Chine en 1965, Le Magnifique en 1973, L’Incorrigible en 1975, et enfin, le seul grand échec de leur collaboration, Amazone en 2000. Parmi les idées les plus judicieuses au niveau de la distribution qui comporte, en outre, une excellente galerie de seconds rôles, Mnouchkine a insisté (avec Belmondo) auprès de De Broca pour avoir la très belle Jacqueline Bisset, actrice anglaise d'ampleur internationale qui vient de finir de tourner sous la direction de François Truffaut, La Nuit Américaine.

 

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De Broca avait repéré les lieux de tournage mexicains pendant la saison des pluies, où la végétation était luxuriante. Mais la production commence au moment de la sécheresse, et le réalisateur a bien du mal à recréer l'imagerie carte postale de l'univers de Bob Saint-Clar. Le laboratoire raye les pellicules et l’équipe doit retourner quelques scènes. Puis Belmondo se fait une terrible entorse lors d'une cascade où il se réceptionne très mal (scène où il saute d’une voiture en marche). On lui plâtre la cheville pour quelques jours, puis le tournage reprend. Belmondo se blessera à nouveau lors d'une scène tournée dans le Marais, où il passe à travers une verrière et se coupe à la cuisse avec du verre... Nés à un mois d’intervalle, Belmondo comme De Broca fêtent leurs quarante ans au Mexique, anniversaire synonyme de java mémorable au cours de laquelle l’hôtel où séjourne l'équipe du film voit le mobilier finir dans la piscine. Bébel fait d’énormes blagues à ses amis. Un soir, son maquilleur se retrouve enfermé dans sa chambre, la porte clouée, avec dans son lit une ivrogne mexicaine ramassée dans les rues par Belmondo.

 

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Le tournage se déroule entre le Mexique et Paris, notamment aux studios d'Epinay où le chef-décorateur, François de Lamothe, a construit le repère de Karpof. C'est à Epinay qu’ils tournent une grande scène de bataille au cours de laquelle Bob Saint-Clar tue à lui seul de nombreux assaillants, faisant couler littéralement des centaines de litres de sang (d’origine animale). L'odeur pestilentielle a longtemps hanté les studios, notamment sur les tournages qui ont suivi, ne disparaissant totalement qu’au bout de deux longues années... Bénéficiant d’une immense campagne publicitaire, Le Magnifique, sorti en même temps que Mon nom est personne et surtout Les Aventures de Rabbi Jaccob (le triomphe de l’année), a quand même rencontré un beau succès. Il est surtout considéré depuis comme un des meilleurs films dans les carrières de De Broca et de Belmondo.

 

00.jpgJean-Paul Belmondo avec le réalisateur Philippe De Broca déguisé en plombier (le cinéaste apparaît également avec un chapeau de paille, furtivement, dans le début au Mexique, pour combler les vides dans la figuration).

  

De l'aveu-même du cinéaste, la partie au Mexique ne se termine peut-être pas dans le meilleur goût, même si c'est proche de son souhait d'un grand final de cirque burlesque. Personnellement, bien que la partie mexicaine m'offre beaucoup de grands moments de rigolade, notamment lorsque je revois le film avec des amis, j'ai tout de même une nette préférence pour la partie satirique du Paris grisâtre et arrosé par la pluie de François Merlin, où l'on croise des Français indifférents, sinistres, l'œil éteint par la routine. Quiconque vivant ou ayant vécu à Paris y reconnaîtra la ville stressante des heures de pointe, les vendeurs inamicaux, les étudiants prétentieux nourris à la bouffe infecte de leur restau universitaire, les secrétaires antipathiques, les intellectuels nonchalants, les noctambules importuns, les éditeurs vaniteux... tout cela, bien que caricatural évidemment, a un petit air de déjà vu assez cocasse.

 

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Certains personnages de la "vraie vie" de François Merlin, surtout ceux qui le contrarient le plus durant son processus de création, se retrouvent ainsi dans des rôles de méchants tournés en ridicule dans son univers fictif, finissant le plus souvent dézingués. L'auteur se venge par le biais de sa grande arme, l'écriture.

 

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Charron, son éditeur, Christine, sa voisine, et lui-même sont les trois seuls personnages à avoir une place importante dans son roman. Le premier devient la caricature du méchant de la saga 007, en tenue de cuir noire avec un logo jaune (vêtement également porté par ses hommes) et en espadrilles. L'Italien Vittorio Caprioli, excellent acteur venu du théâtre que l'on a pu voir dans d'autres comédies françaises (L'Aile ou la cuisse, La Moutarde me monte au nez), est doublé en français pour rendre sa voix plus antipathique par Georges Aminel, doubleur célèbre notamment pour avoir fait quelques années plus tard la voix française de Dark Vador. La seconde devient l'affriolante Tatiana, la Bob Saint-Clar girl aux formes gracieuses et cheveux au vent. Comme beaucoup, je ne suis pas insensible au charme fou de Jacqueline Bisset. Et le troisième s'offre à lui-même le rôle du héros téméraire et décontracté, qui finira même par devenir un alter ego encombrant...

 

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Une des grandes idées de mise en scène de De Broca est l'insertion de raccords entre le Mexique et Paris, entre l'histoire d'espionnage à deux balles et l'histoire d'amour entre François et Christine. Pour cela, De Broca parvient à ne jamais utiliser deux fois le même moyen (raccord dans le mouvement, raccord truqué sur une photo, tache d'encre sur une feuille/l'écran, regard dans un rétroviseur, jeu sur le noir et blanc, etc.).

 

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Claude Bolling a composé une excellente partition, allant dans le sens de la dérision du film, tout en comportant des thèmes romantiques tout aussi inspirés pour les scènes avec Christine/Tatiana. Le Magnifique est un film qui repose quand même sur les épaules de son acteur principalement. Très peu seraient parvenu à combiner les deux rôles avec les deux manières de jouer qui en découlent naturellement: l'une dans la surenchère, l'autre plus subtile. Belmondo s'avère absolument génial. Le Magnifique est sans aucun doute une des comédies les plus originales, délirantes et réussies du cinéma français. Francis Veber rêve toujours de porter à l'écran son histoire d'origine. Il n'a toujours pas digéré cette version trop portée sur la loufoquerie. Mais personnellement, imaginer le Veber d'aujourd'hui faire un remake du Magnifique me semble tenir autant de la bonne idée que refaire L'Emmerdeur avec Patrick Timsit dans le rôle tenu par Jacques Brel. Espérons que le démontage en règle (par la presse comme le public) de ce film a dû lui faire changer d'avis. En tout cas, dans son autobiographie, il dit avoir compris la leçon: on ne touche pas à des monuments comme Ventura et Brel. J'imagine qu'il se dit la même chose pour Belmondo et Bisset. Certes, son scénario d'origine est bafoué mais quel résultat!

 

Le Magnifique (1973), un film de Philippe De Broca. Avec Jean-Paul Belmondo, Jacqueline Bisset, Vittorio Caprioli. Scénario de Francis Veber, Philippe de Broca, Jean-Paul Rappeneau et Daniel Boulanger, sur un scénario original de Francis Veber. Musique de Claude Bolling. Photographie de René Mathelin. Produit par Alexandre Mnouchkine, Georges Dancigers et Bob Hamon.

American Psycho (Mary Harron - 2000)

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Dans l'Amérique des années 80. Le jour, Patrick Bateman (Christian Bale) n’est qu’un golden-boy de la Bourse parmi tant d'autres, avec sa secrétaire dévouée et ses amis qui lui ressemblent: jeunes, beaux, riches, prenant soin de leur corps et apparemment intelligents. Pat possède un superbe appartement new-yorkais, des costards Armani bien rangés dans son armoire, et peut même avoir une table dans les meilleurs restaurants de la ville. La nuit par contre, il viole des prostituées, tue des clochards, dépèce à la hache ou à la tronçonneuse... 

 

La critique sera relativement plus courte que d'habitude car voilà un film que je n'aime pas, contrairement au roman. Ne soyez pas étonnés si je parle davantage du livre. En effet, l’adaptation cinématographique du Best-Seller de Brett Easton Ellis, sorte de revival culte du Docteur Jekyll et Mister Hyde, n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une réussite...

 
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Brett Easton EllisÉcrit à la première personne et dans un style archi-dépouillé, American Psycho, publié en 1991, déclenche dans l'Amérique politiquement correcte un énorme scandale, une tempête médiatique, tout en étant salué par une critique louangeuse. Presque dix ans plus tard, l’obscure réalisatrice Mary Harron a décidé d’en tirer un film, projet qui ne représente pas une mince affaire. D’abord, parce que le livre a son armée de fans impitoyables qui surveillent, comme le lait sur le feu, le traitement qui lui sera infligé. Et ensuite, d’un point de vue technique, parce que ce roman ne contient pas d’intrigue. Un livre et un film n’ont en effet pas la même grammaire, et faire une adaptation d’American Psycho respectant à la fois le roman et les conventions cinématographiques relève plutôt du défi impossible. Il n’y a aucun fil conducteur et il se présente principalement comme le journal intime et sanglant de Patrick Bateman, un golden boy psychopathe dont le hobby est de découper des femmes.

 

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À travers son portrait, Brett Easton Ellis dresse la critique d’une époque qui lui inspire le plus profond dégoût: les années Reagan dans l'Amérique affairiste au capitalisme écrasant, tout en étant drôle et corrosif. Le travail de l’artiste, aidé par son incursion dans le monde des yuppies de Wall Street, est étourdissant. Le lecteur est amené à voir le monde à travers les yeux de Patrick Bateman, et le message a de l’impact. Comme le futur personnage qu'interprétera Bale au cinéma, et presque homonyme, Batman, Patrick Bateman exorcise son néant quotidien de golden boy en donnant corps à ses fantasmes dérisoires. Les meurtres ne sont qu’une métaphore, mais le public américain prend le livre au premier degré. Ellis reçoit des menaces de mort par courrier ou par email, se fait décrire dans les médias comme un démoniaque misogyne qui ne devrait plus être publié, et ne sort plus sans un garde du corps. Rien que ça. Ce scandale qu’il vit très mal (et qui le poursuivra longtemps) nourrira au moins un autre de ses romans, Glamorama, en réaction cette fois au culte de la célébrité, qui incorpore de nombreux éléments surréalistes... 

 
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Le film a quand même une bonne raison d’être vu. Cette raison, c’est Christian Bale. Son époustouflante interprétation ne sauve pas l’ensemble, mais elle a le mérite de forcer l’admiration. L’acteur habitué aux transformations physiques apparaît d’emblée avec le sourire carnassier, le buste taillé en V, la coupe de cheveux impeccable, les costumes chics... Il est Patrick Bateman. Du début jusqu’à la fin. Il incarne à la perfection ce personnage d’odieux frimeur imbu de lui-même, et dont la principale caractéristique est d’être dépourvu d’émotion. Malgré le recul et tout le talent que j’accorde aujourd’hui à l’ex-tête à claques de Titanic, je vois mal comment Leonardo Di Caprio, d’abord pressenti pour le rôle, aurait pu atteindre pareil résultat. Au départ, Brett Easton Ellis a tenté lui-même d’en écrire le scénario, s’estimant bien sûr le mieux placé pour ce job. David Cronenberg est alors pressenti pour la réalisation, mais les deux hommes ne partagent pas la même vision. Le réalisateur n’aimera pas le premier jet du script d’Ellis, le trouvant trop violent. Cronenberg avoue même ne pas être du tout sensible au folklore 80’s et cet environnement de boîtes de nuit ou restaurants chics qui pullulent dans le roman.

 

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Extraits de la série Men in the cities, danses macabres de modèles en tailleur et costumes dans des positions de contorsion, dessinés par Robert Longo (on aperçoit ces deux tableaux dans le film).

  

Au final, aucun choix de mise en scène ne correspond aux partis pris d’écriture d’Ellis. Le découpage consiste en une succession de champs et contrechamps. Les scènes de boucherie ont été édulcorées.  Le peu que l'on voit est même passé au recadrage (pour dissimuler certaines parties intimes pendant une scène de sexe, ou trop de sang lors du meurtre de Paul Allen). Pas de branlette devant la scène du meurtre à la perceuse de Body Double, ni de chapitre entier consacré à Genesis. Enfin, la pirouette finale, qui insinue que les meurtres ne sont que le produit de l’imagination du héros, achève de désamorcer le peu qui a été construit. En effet, le roman garde une ambiguïté sur la réalité des crimes commis par Bateman (“Well, though I know I should have done that instead of not doing it...”), mais pas le film donc. Je serais très loin de vous en vouloir d'acheter le livre et de vous passer du film. De toute façon, je vous ai raconté la fin...

 
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David Bowie: partie 1

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L'Homme qui venait d'ailleurs (1976) Les Prédateurs (1983) Absolute Beginners (1986) Labyrinth (1986)

 

Beau oui, comme Bowie (Serge Gainsbourg)

Et oui, pourquoi pas un sujet sur David Bowie sur un blog de cinéma? Personnage énigmatique et séduisant, d’une grande versatilité artistique, Bowie s’est avéré être également un bon acteur dans plusieurs films de qualité très variable, épisodes de séries, courts-métrages et même jeux vidéos. Il a aussi prêté sa voix à diverses reprises: narrateur, personnage dans des films d’animation ou bien sûr pour des chansons originales, comme “Absolute Beginners”, morceau très célèbre qui a effacé de la mémoire collective le très mauvais film pour lequel il a été écrit. Évidemment, tout cela n’est qu’un prétexte. C’est avant tout pour évoquer un artiste que j’admire (de toute façon, c'est mon blog et je fais ce que je veux) donc c’est la raison pour laquelle je parlerai davantage de ses albums et de sa fascinante musique. La carrière de David Bowie est effectivement une des plus passionnantes de l’histoire du Rock. L’individu est un touche-à-tout de génie. Très rares sont les artistes qui, comme lui, se soient aussi peu cantonnés au domaine de la musique: acteur donc, mais aussi peintre, réalisateur de clips vidéos, sculpteur, producteur, mime... Même du point de vue musical, Bowie explore presque tous les genres. Ses activités peuvent être vues comme un prolongement narcissique, mais aussi comme une tentative de coder (ou décoder) son ou ses image(s), avec le désir d’expérimenter dans plusieurs directions possibles. L’œuvre protéiforme de cet artiste multimédia avant l’heure se divise en aires musicales variées qui, majoritairement, se sont avérées très influentes dans le domaine musical, la mode... ou le cinéma.

 

David Bowie

Another piece of teenage wildlife (“Teenage Wildlife”)

C’est avec un vinyle de musique de jazz offert par son père que le jeune David Robert Jones, né le 8 janvier 1947 dans la banlieue de Brixton, entre dans l’univers musical. Son demi-frère Terry l’aide dans son initiation, tandis que sa mère lui offre un saxophone dont il apprendra à se servir en autodidacte. Vers le milieu des sixties, David est un mod plus ou moins efféminé comme il en existe tant. Les groupes se succèdent (les King Bees, Buzz, Manish Boys, Lower Third...) et ils délivrent un Rhythm’n’Blues fortement influencé par les Who et sans véritable originalité. Du point de vue du chant, David Jones (devenu entretemps David Bowie pour éviter la confusion avec Davy Jones, le chanteur des Monkees) suit l’influence d’Anthony Newley, représentant archétypal de la variété anglaise bien niaise, au style nasillard et encanaillé d’accent cockney. Ces disques ne représentent donc qu’un intérêt anecdotique et ne satisferont que les fans les plus inconditionnels.

 

David Bowie (DERAM 1966-1967)Plus intéressante est la période Deram (1966-1967) qui va présenter une musique plus variée, proche de la variété, mais dont les paroles et les arrangements, parfois saugrenus, témoignent d’une volonté de briser la surface propre et lisse d’une musique encore sous-produit de la guimauve dominante. En dépit de quelques morceaux à l’eau de rose (“Come And Buy My Toys”, “There Is A Happy Land”, “When I Live My Dream”), on peut déjà déceler quelques trouvailles qui n’ont peut-être encore rien d’expérimental, mais font preuve d’un humour noir et sarcastique. Le morbide “Please, Mr Gravedigger” semble démontrer le peu d’intérêt que porte Bowie aux historiettes qu’il raconte, “Maid Of Bond Street” évoque déjà un monde artificiel peuplé de stars de cinéma, et surtout “We Are The Hungry Men”, où pour la première fois Bowie fait référence à la race des surhommes, thème emprunté à la théorie nietzschéenne qui jalonnera une bonne partie de ses futures compositions. “The London Boys”, morceau vraisemblablement autobiographique, est aux antipodes de ce qui se dit à l’époque du Swinging London. Ce morceau mêlant le social au personnel, sûrement le plus intéressant, narre l’itinéraire de ces mods qui partent vivre et s’éclater à Londres, avant de tomber dans la déprime et le désenchantement en se bourrant d’amphétamines. Il est aussi révélateur, déjà, de la distance que Bowie introduit entre lui et la scène rock.

 

 

David BowieThis is Major Tom to Ground Control... (“Space Oddity”)

“Space Oddity” est le tube-surprise de l’année 1969, très inspiré par un film dont le chanteur-compositeur va jusqu’à détourner le titre, 2001: l'odyssée de l'espace2001, l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick (selon certains, l’origine même du pseudo de “David Bowie” serait un démarquage d’un des personnages du film, David Bowman). Bowie avait déjà sorti cette chanson un an auparavant, dans une version hippie qui fut un échec. Mais la nouvelle version sera utilisée par la BBC pour accompagner la retransmission des premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune. Succès colossal. Ce titre a un double degré de lecture: d’un côté, l’odyssée galactique avec l’aspect naïf et enfantin dans les termes que Bowie utilise délibérément (“Ground Control”, “Spaceship”, “Countdown” ou bien sûr “Major Tom”), et de l’autre, une métaphore beaucoup plus sombre sur l'absorption de drogues (Bowie a découvert l’héroïne), le compte à rebours suggérant ainsi le décalage entre l’injection intraveineuse, et le “trip” qui mène à l'envolée de l’orchestre et l'euphorie de “This is Ground Control to Major Tom, You really made the grade...” etc.

On peut aussi voir dans cette fuite de Major Tom, l’astronaute destiné à errer dans l’espace pour l’éternité, une analogie avec le chanteur qui avait trouvé refuge dans un monastère bouddhiste, en Écosse, après l’échec de ses premiers groupes, puis qui a rejoint la troupe avant-gardiste du mime Lindsay Kemp.

 

 

Space Oddity (1969)Morceau simple et dépouillé, presque folk, dont la particularité est d'être un dialogue dépourvu de refrain, entrelacé par les arrangements grandioses de cordes de Gus Dudgeon, “Space Oddity” s’envolera dans les charts et donnera naissance à l’album du même nom. Entretemps, Bowie fonde le Beckenham Arts Lab, un laboratoire expérimental devant permettre de promouvoir les idéaux du mouvement undergound. L’expérience s’avère décevante car parasitée par divers profiteurs, et Space Oddity -l’album- en porte la trace. Un morceau comme “Memory Of A Free Festival” résume à lui seul le désenchantement pouvant envahir quelqu’un dont les idéaux (ici l’organisation d’un festival gratuit) ont été battus en brèche. Mélopée lancinante et nostalgique, elle termine un album qui semble, quasiment dans son ensemble, retentir comme une porte se fermant sur des utopies. “Cygnet Committee” véhicule à la fois la nostalgie de la perte des idéaux et une inquiétude futuriste qui n’est pas sans rappeler William Burroughs, avec ses paroles chargées (on y retrouve du Nietzsche), sa paranoïa face à ceux qui sont prêts à tuer au nom de l’amour et la paix, et s’avérant étonnamment significatif et explicatif sur ce qui a pu amener Bowie à évoluer plus tard vers le rock précieux et distancié de Ziggy Stardust, ou le cataclysme orwellien Diamond Dogs. “Unwashed And Somewhat Slightly Dazed”, rappel à la période mod, est un Rhythm’n’Blues rageur et apocalyptique (préfigurant son album suivant). “Letter To Hermione” est une pure chanson d’amour folky, évoquant la fin d’une relation amoureuse. 

 

 

Space Oddity ne se vend pas malgré le succès de la chanson-titre. En revanche, fin 1969, Tony Visconti, producteur qui s'avèrera extrêment influent pour Bowie et T-Rex notamment, présente David à un jeune guitariste très influencé par Jeff Beck mais aussi talentueux, Mick Ronson. Ce dernier redonne confiance à Bowie. Avec le batteur Woody Woodmansey et le bassiste Trevor Bolder, les futurs Spiders From Mars vont enregistrer et sortir en 1970 The Man Who Sold The World, sonnant à la manière d’un album de Hard-Rock ledzeppelinien (le seul dans la carrière de Bowie), mais imprégné de références arty et intellectuelles.

 

The Man Who Sold The World (1970)L’image qui saute aux yeux est celle de T-Rex. En effet, David Bowie et Marc Bolan (le leader de T-Rex), ennemis sur la scène, amis à la ville, passent à l’électrique en même temps et on peut se demander, à juste titre, si Bowie n’a pas sauté dans le même train opportunément... Mais à la différence de Bolan, Bowie a une vision du monde trouble et contradictoire certes, cependant étayée par une culture littéraire propice à une incursion dans des territoires jusqu’alors inexplorés dans le monde du Rock. On trouve dans cet album des thèmes typiquement “bowiens” et tout à fait nouveaux pour certains: schizophrénie (“All The Madmen”), paranoïa (“Running Gun Blues”), science-fiction (“Saviour Machine”) ou double personnalité, mysticisme et homosexualité masochiste dans David Bowie “The Width Of A Circle”, avec des références à Khalil Gibran et à l’imagerie cuir ou mystique du surhomme (“The Supermen” ou “The Man Who Sold The World”).

Désormais, on s’éloigne de la naïveté folk/hippie des débuts, et on se dirige aux antipodes de l’apaisement. Témoignant d’un album sombre et vindicatif musicalement, “She Shook Me Cold” est une sorte de chanson de Hard-Rock un peu distordue. La musique de The Man Who Sold The World a quelque peu vieilli aujourd’hui, et sa structure narrative peut paraître un peu emphatique à certains égards, mais il subsiste un équilibre harmonieux entre les morceaux mélodiques et les compositions plus littéraires. The Man Who Sold The World reçoit des critiques favorables, et les ventes sont encourageantes aux États-Unis où l’album est sorti quelques mois avant l’Angleterre. Bowie va profiter de ce sursaut d’intérêt pour se jeter à l’eau. Déjà manipulateur, il apparaît aux conférences de presse vêtu de robes d’homme. C’est sous une pochette de cet acabit que l’album sort Outre-Manche, suscitant une polémique en raison de ce look androgyne. Le remue-ménage, soigneusement orchestré, est révélateur de la “méthode Bowie” telle qu’elle va maintenant apparaître...

 

 

He's Chameleon, Comedian, Corinthian and Caricature (“The Bewlay Brothers”)

Bowie change de label et décide, avec son manager Tony De Fries, de frapper un grand coup. Deux albums vont être enregistrés en même temps et sortiront à six mois d’intervalles: d’abord Hunky Dory... Puis, The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And the Spiders From Mars.

 

Hunky Dory (1971)Hunky Dory (1971), signifiant “Au poil” en argot américain, détonne par l’abandon du son Rock au profit d’arrangements privilégiant une texture musicale plus variée et clairsemée, derrière laquelle la guitare de Mick Ronson se retrouve noyée sous les claviers de Rick Wakeman. Certaines mélodies sont plus raffinées et accessibles (“Oh! You Pretty Things”, “Kooks” ou “Fill Your Heart”), une volonté de sophistication que l’on retrouve sur la pochette warholienne aux tons pastels représentant Bowie, en gros plan, dans une pose féminine, alanguie et vaguement décadente. Cette première revendication explicite d’ambiguïté est d’abord axée sur des références en forme d’hommage, avec des identités clairement établies. On peut interpréter de cette façon le ton nasillard qu’il emploie pour imiter Dylan (“Song For Bob Dylan”), la voix lancinante à la Lou Reed dans “Queen Bitch” ou l’aspect alambiqué et complexe de “Andy Warhol”.  La personnalité de Bowie semble dissimulée par ces influences avouées, peut-être pastichées, avant de pouvoir ressurgir et de faire étalage d’une nouvelle image. Ainsi, on a un aperçu d’un album marqué par le sceau de la métamorphose, annoncé par le premier titre (“Changes”) qui est une profession de foi prémonitoire de l’évolution que va suivre Bowie.

   

 

David BowieAvec sa mélodie accrocheuse et son refrain balbutié, elle résume le perpétuel mouvement que veut insuffler Bowie à sa carrière, “Ch-ch-ch-ch-changes...-Time may change me, But I can't trace time” (Le temps peut me changer, Mais je ne peux pas le suivre à la trace).

Bowie annonce la couleur, mais réussit également une gageure qu’il tiendra sur tout l’album: nous faire part de ses visions torturées tout en faisant comme si ce n’était pas le cas. Par exemple, “Oh! You Pretty Things”, vignette apparemment guimauve, est transfigurée par ce refrain: “You gotta make way for the Homo Superior” (Tu dois faire place à l’Homo Supérieur), thème du surhomme qui est également repris dans “Quicksand”, chanson posant une interrogation métaphysique, “I'm sinking in the quicksand of my thought” (Je m’enfonce dans les sables mouvants de ma pensée). L’ironique “Fill Your Heart” contrebalance, avec l’amour comme réponse à tout (mais Bowie n’est quand même pas dupe). Noublions pas un hymne très fleur bleue à son fils (“Kooks”) et une ténébreuse parabole sur sa relation avec son demi-frère Terry (“The Bewlay Brothers”), mais surtout, noublions pas le morceau le plus important peut-être (sûrement) de l’album, “Life On Mars?”. Débutant par de douces notes au piano avant de partir dans la violence d’un grand orchestre, cest un véritable conte de la claustrophobie ordinaire d’où nulle échappée dans une vie fictive n’est possible (l’héroïne aliénée se réfugie dans un cinéma qui passe, justement, le film de sa propre vie!)...

 

 

Plutôt que de mettre le doigt sur les contradictions apparentes de cet album (qui soit dit en passant est fabuleux), on peut voir Hunky Dory comme la vision d’un artiste qui s’est débarrassé d’une première identité, mais qui n’est pas encore assez mûr pour en endosser une nouvelle, avec un petit côté Dorian Gray dans la crainte de grandir.

 

Ziggy StardustIl y a en effet une transition qui se fait avec cet album bourgeonnant. Le cheminement en zigzag de Hunky Dory et ses incohérences thématiques peuvent volontiers décrire un certain manque d’assurance, voire une difficulté à assumer le passage d’un personnage à un nouveau.

La presse est un peu perplexe, toutefois dithyrambique, “Changes” devient un single, l’album suscite curiosité et intérêt, donc la machine est lancée et Bowie va pouvoir jouer le jeu de l’ambiguïté et de la provocation jusqu’au bout.
 

Poussière d’étoiles et les araignées de Mars

En 1972, Bowie est la première vedette musicale à briser un vieux tabou en déclarant publiquement sa bisexualité. Immense scandale. La même année, il va voler la vedette à T-Rex, à Roxy Music ou aux New York Dolls, et devenir le roi du glam rock en donnant au genre la crédibilité artistique qu’il lui manquait.

L’album historique qui s’apprête à sortir va crucifier tout le monde du jour au lendemain, et restera pour beaucoup le disque-phare des années 70...

 

The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars (1972)Les “défauts” de Hunky Dory sont balayés d’un magistral revers de main, et le manque de cohérence disparaît puisque le nouveau disque est un album-concept. Plutôt que d’être simplifiés, les doutes identitaires sont au contraire approfondis, déjà parce que le héros de cet album est un être dont on ignore si c’est un homme ou une femme, en tout cas une rock star androgyne dont nous assisterons à l’ascension et à la chute.

À propos, qu’est-ce que le glam (ou glitter) rock? Essentiellement, un amalgame de l’esthétique du Pop Art et de celle du maquillage et des vêtements excessifs (“cheap” disent les Anglais), de la décadence (ambivalence sexuelle) et du mauvais goût le plus ultime, dans la mesure où il se pare de sophistication. Bowie va lui apporter sa propre dramaturgie théâtrale et une signification métaphorique qui lui a échappé jusqu’à présent. Ziggy Stardust, le Jésus Christ bisexuel en platform boots venu de l’espace, est à la fois une projection et une protection contre ce que les médias créent tous les six mois avec certaines rock stars: des messies qui finissent souvent bouffés par le public. Ziggy StardustTout en assumant sa propre ambivalence, la mise en scène consciente de la schizophrénie permet justement à Bowie de ne pas y sombrer. Voyons cela comme une question de survie. Concrètement, qu’apporte de plus Ziggy Stardust au monde musical, tout au moins au glam rock? Tout d’abord un habillage où se mêlent la science-fiction et l’apocalypse (“Five Years”, “Moonage Daydream”, “Ziggy Stardust”), un rock’n’roll précieux avec un improbable mariage de riffs et des guitares parfois saturées mais pas trop (“Suffragette City” ou “Hang On To Yourself”), à cela s’ajoute l’androgynie aguicheuse et sexy (“Lady Stardust”) et une imagerie futuriste et décalée, mais en même temps profondément humaine (“Rock’n’Roll Suicide”, “Five Years”). La qualité des mélodies, des vocaux, et sur scène le charme et l’étrangeté naturelle et/ou artificielle de David Bowie font le reste.

 

 

Orange MécaniqueOn peut aussi établir un parallèle avec Orange Mécanique de Stanley Kubrick, qui sort en même temps et influence beaucoup Bowie (il utilisera même des thèmes de Wendy Carlos issus de la bande originale en ouverture et en clôture de ses concerts). Chaque représentation sur scène est un spectacle où Bowie s’inspire tour à tour du cinéma de science fiction, de la littérature fantastique comme Frankenstein de Mary Shelley ou 1984 de George Orwell, du mime Marceau, du folklore japonais (surtout le théâtre kabuki), avec des costumes outranciers signés Yamamoto... Bref, toute une attitude nouvelle pour le spectateur de 1972.

La production artistique de Ken Scott qui renforce l’impact dramatique des morceaux, fait de The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars un album pérenne, qui préfigure la plupart des thèmes rock des années 70 et 80. L’aspect science-fictionnesque est présenté d’emblée avec le morceau ouvrant le bal: “Five Years”, décrivant un monde apocalyptique dans lequel il ne reste que cinq années à vivre. Bowie se fait fataliste et dépeint un univers où l’insouciance cède brusquement la place à l’angoisse et la panique. Les images (très fortes) des paroles évoquent une sorte de prophétie sortie d’un Ancien Testament actualisé par des mots volontairement plus abrupts (flic, pédé), avec Bowie qui renforce l’aspect tragique en répétant inlassablement “Five Years”.

Le monde de Ziggy est tout de suite présenté déshumanisé, avec des individus plus aliénés les uns que les autres, et l’univers du rock n’y échappe pas: “I'll be a Rock'n'Rollin' bitch for you” (Je serai une salope/pute du rock’n’roll pour toi) dans “Moonage Daydream”, chanson qui introduit implicitement le personnage de Ziggy Stardust. Ce dernier n’apparaît pas avant la deuxième face.

 

 

“Lady Stardust” est une référence à Marc Bolan, à la part d’attirance/répulsion de leur rivalité, et introduit subtilement, par le biais de l’androgynie, le thème de l’identité qui est approfondi dans la chanson suivante, “Star”. Celle-ci décrit l’ambition du narrateur (Bowie?) de transformer quelqu’un (lui-même?) en vedette du rock. On glisse vers l’idée du simulacre et de l’apparence. David Bowie et Mick RonsonConscient de sa dualité, de l’accepter et de ne pas en être victime, Bowie va jouer la star, Bowie va jouer à être Ziggy, mais Bowie ne sera pas Bowie. On repère ainsi dès Ziggy Stardust toute la perspicacité et le phénoménal sens intuitif du chanteur (qui anticipera sur les modes à venir), analysant ici les pièges qui guettent la star. Dans “Ziggy Stardust” et plus précisément les terrifiantes paroles: “Making love with his ego, Ziggy sucked up into his mind, Like a leper messiah” (Faisant l’amour avec son ego, Ziggy a été englouti par son esprit, Tel un messie ayant la lèpre), il résume, avec une économie de moyens et en quelques vers, les aléas et défauts de la rock star (en gros un égo surdimensionné, une sensation de sûreté, une prétention conduisant à la chute, etc.). “Suffragette City” et “Rock’n’Roll Suicide” témoignent ainsi de l’état de délabrement mental et de la solitude dans lesquels se précipite Ziggy, la première sur le thème de la paranoïa, la seconde sur un mode tragique et émouvant. Au-delà de la qualité de l’œuvre, ce qui est tout simplement génial chez Bowie, c’est que Ziggy Stardust explore des horizons jusqu’alors totalement vierges. Sur le disque, on constate qu’il a compris non seulement les dangers du statut de star sans les avoir vécus lui-même, mais aussi la relation équivoque de la vedette avec son public. Sans ce dernier, la star n’a évidemment plus de raison d’être. L’exigence des fans va forcément en augmentant, en réclamant plus à l’artiste qui est amené à se dépasser, à donner plus de lui-même. Le (Rock’n’Roll) suicide serait donc une reconnaissance de sa propre insuffisance à satisfaire.

 

 

David Bowie, Iggy Pop et Lou Reed

 

Entre la fin de 1972 et la moitié de 1973, Bowie ne chôme pas. Lui et Mick Ronson tirent Lou Reed de sa traversée du désert pour un retour glam rock, avec le superbe album Transformer sur le lequel Mick joue de la guitare et Bowie participe aux chœurs. Puis Bowie produit et sort un mix controversé du très violent Raw Power d’un autre rebelle, Iggy Pop et ses Stooges, disque qui influencera considérablement le futur mouvement punk du milieu des années 70. Bowie est aussi à l’origine (il a écrit la chanson) du seul tube que connaîtra le groupe Mott The Hoople dans son histoire, “All The Young Dudes”. Et enfin, il sort son nouvel album...

 

 

Transformer (Lou Reed, 1972) Raw Power (Iggy Pop And The Stooges, 1973) Mott The Hoople - All The Young Dudes

 

Aladdin Sane (1973)Aladdin Sane évoque la magie (“Aladdin”) et la rationalité (“Sane), et forme un jeu de mot signifiant: Un garçon fou (“A lad insane”). Bowie envisage d’abord de l’intituler Love Aladdin Vein (Aimer un garçon en vain), avant de l’abandonner à cause de la connotation sur la drogue. C’est un album de transition, enregistré presque à la va-vite, mais qui va asseoir définitivement la popularité de l’artiste, surtout aux États-Unis. Thématiquement, les morceaux peignent toujours des tableaux désolés d’existences aliénées, à grands coups cette fois de riffs de guitares sonnant très hard rock (“Watch That Man”, “Panic In Detroit”, “Cracked Actor” et à un degré moindre “The Jean Genie”), et de touches cinématographiques. Les dates dans les parenthèses du morceau “Aladdin Sane (1913-1938-197?)”, dont les deux premières se situant avant chaque guerre mondiale, accentuent l’aspect pessimiste et l’idée de catastrophe imminente. David Bowie au 1984 Floor ShowMais le cadre du reste de l’album s’éloigne toutefois d’une apocalypse futuriste, pour s’enraciner dans les paysages d’un monde actuel présenté comme stérile. Bowie est allé chercher ce pianiste fou de Mike Garson qui s’avère être un des choix les plus judicieux, tant c’est bien son instrument qui marque l’esprit plus que les riffs tueurs de Ronson. Garson peut démarrer doucement sur un piano jazzy avant de partir dans une folie furieuse (“Aladdin Sane”), faire un piano cocktail pour le cabaret de “Time”, le sommet thématique et musical de l’album, ou accompagner élégamment un morceau avant de finir sur de belles envolées (“Lady Grinning Soul”). Outre le jeu subtil de piano, “Aladdin Sane” frappe par sa mélodie sophistiquée et envoûtante, en contrepoint avec cette histoire de jeune homme qui part à la guerre, une opposition d’univers qui se retrouve dans les paroles absurdes: “Paris or maybe Hell” - “Battle cries and champagne” (Paris ou peut-être l’Enfer - Cris de guerre et champagne). Un autre grand morceau, “Drive-In Saturday”, sur un couple essayant de rallumer la flamme d’une vieille relation, était à l’origine écrit pour Mott The Hoople comme follow-up à “All The Young Dudes”. Bowie reprend aussi une chanson des Rolling Stones, “Let's Spend The Night Together”, préfigurant ainsi Pin-Ups et marquant son intention de se tester à faire des reprises (il en fera au moins une sur la plupart de ses futurs album).

 

 

Les tournées s’enchaînent et Bowie, plus ou moins victime de la pression et de la difficulté à assumer son rôle de star, décide de “suicider” son personnage sur scène lors du désormais célèbre 170ème concert de Ziggy le 3 juillet 1973, à lHammersmith Odeon de Londres. La fiction a en quelque sorte rattrapé la réalité, du moins elle a été prémonitoire sur le point de vue que Bowie semble dépassé par son aura (preuve qu’il n’est pas juste un manipulateur). Trois mois plus tard, il sort un album de reprises (une démarche quon peut interpréter comme un besoin de souffler) avec une pochette restant toutefois encore très imprégnée du “sceau Ziggy” .

 

Pin-Ups (1973)Pin-Ups est à mettre sur le même plan que These Foolish Things de Bryan Ferry ou le Rock’n’Roll de John Lennon qui sortent au même moment. Les racines sont les années 60 comme le rappelle la pochette où il pose avec Twiggy (mannequin emblématique des sixties), et elles sont revendiquées par le chanteur de manière ostentatoire. Les Who, les Kinks, les Pink Floyd, Them, Pretty Things ou Yardbirds sont donc passés à la moulinette. On peut se demander, devant cette volonté de rendre un hommage affectif à ses aînés en utilisant parfois des thèmes moins connus, s’il n’y a pas une appréhension devant le fait que ses disques à lui risquent de devenir obscurs pour de futures générations... Cet hommage évite l’écueil de la nostalgie car il est traversé d’éclairs de guitares véloces ou énergiques et de vocaux sophistiqués. Toutefois, on peut regretter que Bowie n’aille pas plus loin, et se contente de reprendre très respectueusement les chansons d’origine. La seule ambiguïté dans tout ça reste la pochette où Bowie et Twiggy se présentent asexués. Cet album passéiste est surtout le chant du cygne pour Ziggy et les Spiders. Mick Ronson partira enregistrer deux albums solos (Slaughter On 10th Avenue et Play Don't Worry) mais qui n’auront aucun succès.

 

Avec Marianne Faithfull

This ain't rock’n’roll, This is genocide (“Future Legend”)

Bowie fait une dernière apparition en Ziggy Stardust avec les Spiders dans un enregistrement pour la NBC, le 1980 Floor Show, diffusé sur les télévisions fin 1973, où il interprète notamment deux morceaux extraits de son futur album sous forme de medley (“1984” senchaînant sur “Dodo”). On retiendra surtout sa reprise de Sonny et Cher, “I Got You Babe”, en duo avec une Mariane Faithfull encore plus défoncée que lui, déguisée en bonne sœur et portant une robe noire tellement fendue dans son dos qu’elle révèle son cul aux musiciens derrière (ce qui nest évidemment pas montré à la télévision).

Puis le chanteur prend l’avion, direction Hollywood...

 

 

Diamond Dogs (1974)Son inspiration va commencer à s’éloigner du strass brillant et Diamond Dogs, s’il en conserve certains atouts, va se situer sur un terrain d’inspiration déjà différent. À l’inverse de Ziggy Stardust où l’Apocalypse servait d’adjuvant décoratif, de prétexte à une histoire, dans Diamond Dogs il s’agit d’une véritable toile de fond, une vision du monde qui va s’insinuer dans les moindres sillons de l’album. L’enregistrement qui se déroule aux States entre fin 1973 et début 1974 se fait dans d’étranges conditions. À l’exception de l’excellente section rythmique constituée par Tony Newman et Ainsley Dunbar, Bowie travaille sans véritable groupe, s’occupant seul de plusieurs instruments (guitares, saxophone, synthétiseurs et claviers Mellotron) et se charge de la production et du mixage. Rebel Rebel Notons qu’entretemps, il a découvert la cocaïne, ce qui lui permet de travailler parfois trois jours de suite sans dormir. Le nouvel avatar du chanteur, présenté comme un centaure canin sur une magnifique pochette signée Guy Peellaert (dont la première version a été censurée pour cause de parties génitales trop visibles), s’appelle Halloween Jack. Le disque s’ouvre sur “Future Legend”, sorte de poème décrivant Hunger City, une ville post-guerre atomique, livrée à la destruction et au carnage. Les animaux sont devenus de véritables monstres et les hommes ne se déplacent plus qu’en bandes, pillant un monde où les richesses n’ont pourtant plus aucun sens. Puis ça enchaîne aussitôt sur l'excellent “Diamond Dogs”, morceau de rock caverneux, oppressant et foisonnant de son saturé, qui présente Halloween Jack. Sorti peu avant en single, “Rebel Rebel” est le sommet de l’album et demeure un des meilleurs titres du chanteur. Bowie et William Burroughs Inspirée évidemment de la chanson “(I Can’t Get No) Satisfaction” des Rolling Stones, “Rebel Rebel” comprend elle aussi un riff imparable qui rend la chanson irrésistible. Les paroles et la diction concises de Bowie sont d’une grande efficacité et décrivent, de façon percutante et en quelques minutes, le phénomène de ses fans et le rôle qu’ils tiennent dans la société. “1984” pointe le nez sur le prochain engouement de Bowie pour la soul music (Carlos Alomar, une nouvelle rencontre qui deviendra son prochain “vrai” guitariste, lui a fait découvrir la musique noire). Le titre prédit, bien sûr, l’avènement du totalitarisme qui triomphe définitivement avec le morceau suivant, “Big Brother”. Au fond, il s’agit surtout d’un album littéraire où la musique est presque noyée sous les idées. Bowie avait commencé par faire une véritable adaptation musicale du célèbre roman 1984, mais les héritiers de George Orwell ont refusé de lui céder les droits. Déçu, il a réorienté son album (qui conserve cependant de nombreuses références au roman), en s’inspirant aussi de l’univers cauchemardesque de William Burroughs et de ses expérimentations d’écriture, le cut-up (méthode consistant à découper les mots d’un texte au hasard et de les réassembler pour former un nouveau texte).

 

 

David Live (1974, réédition)En 1974, Bowie s’embarque dans une longue tournée ambitieuse aux décors grandioses, le “Diamond Dogs Tour”, accompagné notamment de Mike Garson, Herbie Flowers à la basse ou Earl Slick à la guitare.  Le répertoire est principalement emprunté à Ziggy et Aladdin mais revêt une coloration latino/rythm’n’blues. The Diamond Dogs Tour 1974 Un double album baptisé David Live retranscrit cette tournée plutôt froide et impersonnelle. On attend surtout, encore aujourd’hui, la sortie d’un DVD des concerts filmés au Madison Square Garden, pour voir Bowie changer douze fois de costumes, apparaître en haut des échafaudages ou derrière une main géante, jouer un Hamlet façon star de cinéma pour “Cracked Actor”, le voir assis dans un fauteuil monté sur grue en chantant “Space Oddity” dans un téléphone, etc. Il séduit évidemment les amateurs avides de grand spectacle. Musicalement hélas, les morceaux sont exécutés maladroitement, sur un rythme lent, et ne suscitent aucune excitation. La raison se trouve en coulisses où de gros problèmes d’argent font surface. Carlos Alomar, le jeune guitariste que le chanteur avait souhaité, a refusé une offre minable de Tony De Fries, l’agent de Bowie. Les autres musiciens se plaignent également d’être sous-payés et Bowie, s’apercevant que la tournée est financée de sa poche et non par MainMan (compagnie de De Fries), se rend compte peu à peu que son agent est un escroc.

 

Young Americans (1975)Bowie profite d’un intervalle de six semaines entre deux parties de la tournée pour enregistrer rapidement un nouvel album. Le chanteur parvient à imposer Carlos Alomar à MainMan et c’est le début d’une longue collaboration. D'abord intitulé The Gouster, le funky Young Americans, enregistré à Philadelphie, est un album de plastic soul qui surprendra tout le monde. David Bowie délivre une version de “fausse” soul néanmoins très sympathique et décontractée. La star apparaît sur la pochette dans une sorte d’hommage encore à l’esthétisme de la soul noire, soigneusement peigné et vêtu, avec une cigarette se consumant entre les doigts. Sa voix est légère et s’élève magnifiquement, chantant des textes plus subordonnés à une atmosphère générale qu’à une fonction expressive. Pendant l’enregistrement, Bowie rencontre John Lennon avec qui le courant passe immédiatement. Ils écrivent “Fame”, la seule chanson de l’album à comporter un réel trait émotionnel avec sa réflexion désabusée sur la célébrité, en échappant à l’approche lisse du reste de l’album. Aussi, ils enregistrent ensemble une reprise des Beatles, “Across The Universe”, où la voix de Lennon est tout juste audible. De Young Americans, il n’y a pas grand-chose à ajouter. C’est un album à l’opposé des extravagances qui le précède, avec une musique pétillante et souvent jouissive.

  

 

Fin 1974, Bowie entame une procédure pour se séparer de son agent Tony De Fries. Il essaie de vendre Young Americans à RCA mais cela déclenche une dispute des droits entre eux et MainMan, retardant la sortie de l’album. Un accord est finalement trouvé mais il est terrible pour Bowie (alors quasiment ruiné par sa gigantesque tournée): De Fries touche la moitié de ses revenus sur les anciens albums (de Hunky Dory à David Live) et prendra encore 16% sur ses futurs revenus bruts, jusqu’en 1982.

 

L'Homme qui venait d'ailleurs (1976)

L'Homme qui venait d'ailleurs (1976)En janvier 1975, un reportage baptisé Cracked Actor, qui a suivi un Bowie cocaïné et paranoïaque dans les coulisses du “Diamond Dogs Tour”, est diffusé sur la BBC. Il retient l’attention du réalisateur Nicolas Roeg qui cherche un acteur pour son prochain film de science-fiction abstraite. Il veut ainsi offrir à Bowie l’opportunité de jouer son premier rôle au cinéma (et en même temps pour le rôle principal). Bowie accepte, et tourne L’Homme qui venait d’ailleurs (The Man Who Fell To Earth) où il tient le rôle de Thomas Newton, un extra-terrestre à l’apparence humaine, venu sur Terre pour trouver un remède au manque d’eau qui décime les habitants de sa planète. Thomas se retrouve vite confronté à la folie des Hommes et au souvenir de sa famille mourante. Ce film, typiquement seventies, le plus connu de son réalisateur et de son acteur principal, a un récit décousu qui tire vers l’expérimental, se dirigeant vite sur d’autres histoires, comme la relation entre Thomas et Mary-Lou, une jeune femme rencontrée par hasard, au détriment de l’intrigue principale. Le rythme est lent et hypnotique, et quelques scènes (surtout dans la version longue) sont à la limite du porno, renforçant l’atmosphère très spéciale. Mais Bowie est excellent, charismatique, naturellement effrayant et évidemment crédible.

 

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Squelettique car se nourrissant mal et devenu vraiment accro à la cocaïne, il éprouve le désir de retourner assez vite en studio d’enregistrement. Le virage musical de Young Americans a été un choc pour les fans. Un an plus tard, ils seront de nouveau désarçonnés par Station To Station avec son mélange de rock et de soul, et l’apparition du nouveau personnage emblématique du chanteur: le Thin White Duke.

 

The return of the Thin White Duke, Throwing darts in lovers' eyes (“Station To Station”)

Station To Station (1976)Il est impossible d’occulter le contexte dans lequel l’album se fait ou les considérations du chanteur alors très choquantes. Bowie commence à perdre pied en raison de la drogue et se met à faire des déclarations favorables à l’extrême-droite anglaise, n’hésitant pas à afficher quelques penchants nazis. L’arrivée du Thin White Duke matérialisée par Station to Station exacerbe les connotations fascistes que certains croient déceler derrière l’esthétique froide, les morceaux faussement impersonnels et le romantisme torturé de son personnage. En dépit des polémiques, il s’agit d’un excellent album, subtil et à mille lieues d’un simplisme crypto-nazi. Brillamment interprété (Alomar et sa guitare funk et Earl Slick qui délivre une série d’incroyables solos), il est produit par un David Bowie au sommet de sa forme vocale qui signe également les arrangements.

Si les chansons de cet album sont glaciales, les paroles empreintes d’un désespoir fataliste véhiculent une émotion rappelant l’errance désabusée de Thomas, le héros de L’Homme qui venait d’ailleurs. “Station To Station”, le premier morceau, s’ouvre sur des bruits de locomotive (électroniques) et on pense à Kraftwerk et à la nouvelle musique électronique. Le “Duke” c’est également les regrets qu’évoque Bowie au sujet de la cocaïne: “It's too late - to be grateful... It's too late - to be hateful” (Il est trop tard pour être reconnaissant... Il est trop tard pour haïr). Thin White Duke Il y a une certaine remarque ironique mais poignante sur la dope, qu’il cite dans cette phrase en forme de pirouette: “It's not the side-effects of the cocaine” (Ce ne sont pas les effets secondaires de la cocaïne).

“Golden Years”, au départ écrite pour Elvis Presley qui souhaitait travailler avec lui, nous montre un Bowie crooner sur une rythmique enlevée et proche du funk de Young Americans. Les paroles sont nostalgiques et tendres mais également tournées vers le futur, et Bowie sonne serein et sûr de lui. “Word On A Wing” est un dialogue avec un Dieu idéal, délicatement modulé par la voix du chanteur et le piano de Roy Bittan. “TVC15”, avec sa rythmique désinvolte, démarrant sur un léger emprunt à “Good Morning Schoolgirl” des Yardbirds, raconte l’histoire surréaliste d’une jeune femme avalée par sa télévision. La répétition à la fin des mots “Transition” et “Transmission” se fait l’écho du bruit de machine ouvrant l’album, symbolisant parfaitement ce mélange crooner-techno qui fait voler en éclat les frontières musicales traditionnelles. Station To Station, avec seulement six chansons (dont une superbe reprise du “Wild Is The Wind” de Nina Simone en guise de conclusion), est un album-phare qui préfigure ce que fera bientôt Bowie avec Brian Eno.

 

 

Thin White Duke

 

Une tournée mondiale démarre à Vancouver, et se terminera historiquement en France où, deux soirs de suite, le public parisien des anciens abattoirs de la Villette lui fait un véritable triomphe. Durant les concerts, il interprète la chanson “Sister Midnight” qu’il laissera un peu plus tard à Iggy Pop (qui l’a coécrite). La tournée marque aussi son grand retour en Angleterre après deux ans d’absence. À Victoria Station, où il est accueilli par une immense foule, un cliché assez flou montre Bowie effectuant vaguement un salut nazi, debout à l’arrière d’une limousine décapotable. Un journal publie la photo sous le titre “Heil and Farewell” (Heil et adieu) mais sur l’image, si Bowie a bien le bras tendu, on remarque que ses doigts sont repliés et non tendus. Bowie salue simplement ses fans. Mais le choix de partir vivre à Berlin (en emmenant Iggy Pop dans ses bagages) nourrit un peu plus la controverse. Bowie a surtout rencontré Brian Eno à la fin de sa tournée, et il décide de pousser plus loin l’expérimentation avec lui...

 

> Deuxième partie

David Bowie: partie 2

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► Partie 1

 

 

David BowieBowie, contre toute attente, a non seulement survécu à ses conditions de vie alarmantes mêlant drogues et anorexie, mais a en plus donné quelques-uns des meilleurs concerts de toute sa carrière. Cocaïné jusqu’aux tréfonds des sinus, il ne se souvient pas, même aujourd’hui, d’avoir chanté, composé, enregistré et arrangé Station To Station, un de ses meilleurs albums. Par ailleurs, il n’est heureusement ni un fasciste, ni le raciste que la presse veut faire croire. S’installer en Allemagne ne va évidemment pas dans le sens de ses déclarations très maladroites sur Hitler, mais plutôt parce qu’il veut travailler avec Brian Eno dans un des meilleurs studios d’enregistrement du monde: le studio Hansa, et aussi parce qu’il est déterminé à se débarrasser de sa dépendance à la coke. Seulement ni lui, ni Iggy Pop qui le suit dans cette démarche, ne savent qu’en ce temps-là Berlin est la capitale européenne de la drogue... Cette période dans cette ville est décrite dans un livre-choc, basé sur l’histoire vraie de Christiane Felscherinow et publié en 1978: Moi, Christiane F., 13 ans, droguée et prostituée (Wir Kinder vom Bahnhof Zoo), qui donnera le film du même nom sorti en 1981 et dans lequel Bowie a accepté de faire une apparition (la jeune Christiane du titre est une fan inconditionnelle du Thin White Duke, assistant à un de ses concerts, avant finalement de revendre ses disques de Bowie pour acheter de la drogue). La cure de désintoxication est un échec. Bowie continue la drogue mais en quantité moindre, et s’est aussi mis à boire. Toutefois, il retrouve ses esprits et une condition de vie plus décente, en tout cas il redevient humain.

 

 

“There is old wave, there is new wave, and there is... David Bowie.”

Low (1977)Ce nouveau virage radical qu’aborde Bowie, baptisé Low, enregistré fin 1976 et sorti le 14 janvier 1977, approfondit l’aspect minimaliste de Station To Station. S’appuyant sur la sensibilité moderniste de Brian Eno, cet album est un pari risqué. Il faut davantage y voir des peintures sonores que des chansons. Démarrant par un titre instrumental grinçant, “Speed Of Life”, la première face est constituée de courts morceaux où la diction syncopée du chanteur frise l’onomatopée. Il y a une atmosphère désinvolte mais aussi triste qui chevauche des mélodies captivantes. Les textes sont plus ou moins autobiographiques, pouvant être perçus comme étant fatalistes (“Always Crashing In The Same Car”) ou ironiques et désabusés (“Be My Wife”). “A New Career In A New Town” (Une nouvelle carrière dans une nouvelle ville, titre qui résume parfaitement la démarche de Bowie), morceau instrumental concluant la face A, est emblématique de la deuxième partie essentiellement expérimentale et sans paroles. Le chant sur “Warszawa” est une langue totalement imaginaire, les vocaux ont une phonétique incantatoire, oscillant entre le chant grégorien et la mélopée occidentale. C’est sur cette deuxième face quasi abstraite que toute l’intensité et la dramaturgie de David Bowie va se faire sentir. La musique a un son sale, un côté brut qui, bien que travaillé, offre toutes les textures d’une Europe dévastée derrière le rideau de fer (le studio Hansa où il enregistre est situé à côté du mur de Berlin). Bowie adopte surtout des principes à des années-lumières du professionnalisme rigoureux dont il avait fait preuve jusque là, même à l’époque du cut-up de Diamond Dogs. Au milieu des années 70, Brian Eno a inventé avec l’artiste Peter Schmidt un jeu d’une centaine de cartes, baptisées les Cartes de la stratégie oblique, invitant les artistes qui en tire une au hasard à adopter le principe qu’elle propose (“Accentue les défauts”,  “Utilise moins de notes”, “Faut-il changer les mots?”, “Donne libre cours à ton impulsion la plus mauvaise”, “Demande aux gens de travailler à lencontre de leur meilleur jugement”, “Utilise une vieille idée”, etc.). Cette conception de travail donnant une grande importance au hasard a énormément séduit Bowie.

 

 

Metropolis (1927)Évidemment, tout cela décontenance une partie des fans. L’installation de Bowie à Berlin montre d’un côté un certain rejet des États-Unis, et de l’autre son attirance pour la réputation culturelle de la ville germanique coupée en deux, plus particulièrement l’esthétique expressionniste qui a marqué les années 20, 30. Just A Gigolo (1978)Le Thin White Duke avait une très large collection de films expressionnistes allemands à Los Angeles, comptant Metropolis de Fritz Lang (qu’il a découvert grâce à Amanda Lear), et Le Cabinet du docteur Caligari de Murnau comme ses films préférés. C’est d’ailleurs à cette époque qu’il joue dans un film réalisé par David Hemmings, l’acteur de Blow-Up de Michelangelo Antonioni, intitulé Just A Gigolo (photo de droite), et qui se situe dans le Berlin post-première guerre mondiale. Le film, racontant l’histoire d’un soldat de retour dans sa ville qui ne trouve pas de travail et finit par accepter un job de gigolo, est surtout marqué par la toute dernière apparition cinématographique de Marlene Dietrich. Hemmings tente un peu maladroitement d’expliquer le sentiment de fascination/répulsion que la décadence du pays entraîne, ainsi que l’émergence du parti nazi. Le film n’aura aucun succès en dépit d’une distribution comprenant des stars, certes vieillissantes comme Dietrich ou également Kim Novak...

 

Iggy Pop - The Idiot (1977) Iggy Pop - Lust For Life (1977)

 

 

En 1977, Bowie produit, coécrit et joue en tant que musicien (chœurs, claviers, guitares, piano, saxophone et xylophone), avec Carlos Alomar à la guitare rythmique, sur les premiers albums solos du pape du punk rock, Iggy Pop: The Idiot et Lust For Life, deux très grands disques dans la carrière de l’iguane, qui rencontrent un immense succès en sortant à cinq mois de différence (mars et août). Bowie accompagne également Iggy Pop en tournée, en tant que simple membre du groupe (ils jouent une cinquantaine concerts à travers le monde).

 

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"Heroes" est enregistré dans la foulée des albums pour Iggy Pop. Si la deuxième face du disque est aussi composée de collages instrumentaux aux synthétiseurs, formant les mêmes textures que son prédécesseur, l’album raffine le concept de Low dans la mesure où il s’en dégage une production beaucoup plus travaillée, grâce aussi à la guitare incisive de Robert Fripp qui donne beaucoup plus de nerf à l’ensemble. L’album est bâti sur ce contraste, entre l’apport optimiste et charnu de la guitare saturée de l’ancien leader de King Crimson, et l’esthétique froide accompagnée d’une raideur toute germanique: photo de la pochette, influence de Kraftwerk, titres comme “V2 Schneider” (inspiré du nom d’une roquette développée par les nazis) ou “Neuköln” (un district de Berlin). L’album démarre avec la superbe “Beauty And The Beast” qui semble reprendre les théories de Nietzsche énoncées dans La Naissance de la Tragédie, sur la beauté apollinienne rigide et un peu stérile, et celle, plus festive, débridée et jouissive, qu’il appelle la beauté dionysiaque. L’impression de positivisme est renforcée par le fait que Bowie se rend plus accessible, et met à plat certaines de ses faiblesses. “Blackout” est une allusion à ses propres “trous” émotionnels. Il devient plus proche d’un personnage romantique avouant sa vulnérabilité. À cet égard, “"Heroes"” est une formidable chanson où les guillemets introduisent une distance ironique avec le concept même de héros. Elle décrit les amoureux comme les vrais héros, réunis près du Mur de Berlin, symbole de séparation et d’exclusion. Les paroles sont simples (on raconte qu’elles ont été écrites en cinq minutes!) mais mythiques, avec le phrasé déchirant du chanteur (encore plus émouvant dans la première version qu’il a chanté en allemand, par contre moins intéressant dans sa version française). La rythmique force l’addiction et fait de ce morceau un thème merveilleux.

 

 

Elizabeth Taylor & David BowieEn novembre, Bowie enregistre une nouvelle version de Pierre & le loup de Sergueï Prokofiev. Début 1978, il rompt avec sa femme Angie, épousée en 1970 (leur divorce sera officialisé en 1980). À court d’argent, son ex-femme vendra ses histoires à la presse. Elle écrira même deux livres autobiographiques, dont lun se base essentiellement sur la drogue et les corps qui ont défilé durant leur vie de couple libre. Effectivement, depuis leur mariage, Bowie a eu pour petit(e)s ami(e)s Amanda Lear, Mick Jagger, Dana Gillespie, Marianne Faithful, Lou Reed, Iggy Pop ou encore feu Elizabeth Taylor (photo), entre autres...

 

Stage (1978)Contrairement à la sortie de Low, Bowie accepte de rencontrer les journalistes. En dépit encore de quelques troubles du comportement dus à ses précédentes années de folie, Bowie va beaucoup mieux, comme l’attestent les entretiens filmés de l’époque où il se montre nettement plus ouvert et souriant. En 1978, Bowie part de nouveau en tournée à travers le monde. Le compte-rendu se trouve sur le double-album Stage, avec un répertoire tiré de Ziggy Stardust (face 1), Station To Station (face 2), Low (face 3) et "Heroes" (face 4). La réédition de 2005 ne respecte plus cet ordre et compte deux morceaux supplémentaires (“Be My Wife” et “Stay”). Bowie réussit la gageure de faire accepter ses nouveaux titres, pourtant froids et lugubres, par le public venu à ses concerts. Mais le remplacement des guitares par des synthétiseurs à certains endroits affaiblit considérablement la tonalité rock. Cependant ce live demeure très efficace, et de toute évidence, Bowie fera pire plus tard. 

 

Lodger (1979)L’enregistrement du dernier album de la trilogieberlinoise”, Lodger, a en réalité débuté au Mountain Studio de Montreux avant d’être achevé à New York. Bien que peu de gens l’ait remarqué, Bowie en grand fan de Roman Polanski s’inspire directement du paranoïaque Locataire (1976), la posture du chanteur sur la pochette rappelant le suicide du protagoniste du film (et en français “Lodger” signifie... “Locataire”). Sorti en mai 1979, cet album composé de chansons et daucun instrumental prouve que Bowie se réoriente progressivement vers une musique plus traditionnelle. La première face évoque ses voyages, avec bien sûr la délicate “Fantastic Voyage” qui fait allusion à la Guerre Froide. “Yassassin (Turkish for "Long Life")” signifiant, comme c’est précisé entre parenthèses, “Longue vie” en Turc, est musicalement un des morceaux les plus intéressants de la face A. Sorte de reggae incongru avec une atmosphère orientale et des vocaux ironisant sur un mercenaire solitaire, ce titre a une richesse mélodique qui aurait pu en faire un tube parfait (il n’est sorti en single qu’en Turquie et aux Pays-Bas, avec succès). Sur “African Night Flight”, Bowie chante ses paroles à une vitesse hallucinante, proche du rap. “Move On” développe le thème qu’il est nécessaire de s’adapter au monde, ce qui annonce malheureusement la couleur que prendra bientôt sa carrière. Même s’il s’éloigne de ses prédécesseurs, Lodger est encore un album d’expérimentations avec des collages. Pour “Boys Keep Swinging”, chanson folâtre (parodiant le “YMCA” des Village People) avec une prodigieuse rythmique inversée, Bowie n’aime pas l’aspect propre, trop “professionnel” de la première version. Souhaitant obtenir plutôt le son d’un groupe punk enregistrant dans une cave, il décide de recommencer en intervertissant le rôle des musiciens (Alomar se met à la batterie, le batteur à la basse, etc.) d’où l’aspect un peu sale et désordonné de la version finale.

 

 

“D.J” et sa cadence robotique est une chanson ironique (“I'm home, lost my job, and incurably ill”/Je suis rentré, j’ai perdu mon boulot et j’ai une maladie incurable), se moquant de ce disc jockey qui ne vit que par relation à son job: “I am a D.J, I am what I play” (Je suis un D.J, je suis ce que je joue). Au-delà de la satire de la mode, cela rappelle le thème de l’extension narcissique de Ziggy Stardust. Passons sur “Red Money”, rip-off inutile de “Sister Midnight” (qu’il a coécrit avec Iggy Pop pour The Idiot) , et intéressons-nous plutôt à “Repetition”, thématiquement le morceau plus intéressant de l’album car c’est un des très rares commentaires sociaux de Bowie. Délibérément dépourvue d’émotion, explorant le thème des violences domestiques à travers le point de vue d’un mari salaud, elle raconte l’histoire d’une femme battue et qui le cache, au bord du découvert bancaire et vivant une existence pitoyable. “And the food is on the table. But the food is cold. Don't hit her! "Can't you even cook? What's the good of me working when you can't damn cook?"” (Le repas est sur la table, Mais le repas est froid. Ne la frappe pas! "Sais tu au moins faire la bouffe? À quoi bon que je bosse, si tu ne peux pas faire la putain de bouffe"). En quelques phrases, Bowie nous renvoie au drame quotidien des couples ratés.

 

 

Le génial clip promotionnel de “Boys Keep Swinging” (où Bowie apparaît déguisé en trois femmes différentes avant d’enlever la perruque et se barbouiller le visage de rouge à lèvres), renverse la logique des paroles hétérosexuelles. Il est diffusé à la célèbre émission britannique Top of the Pops, et scandalise une bonne partie des téléspectateurs qui finissent par bloquer le standard téléphonique d’appels outrés. Aux États-Unis, en compagnie de Klaus Nomi qu’il a découvert et veut faire connaître au grand public, il enregistre pour le Saturday Night Live trois clips télévisuels, dont un seul issu de son dernier album, avec une présentation de l’acteur Martin Sheen. Pour “The Man Who Sold The World”, Bowie apparaît vêtu du costume surdimensionné qu’utilisera plus tard Klaus Nomi sur scène, puis en tailleur-jupe pour “TVC15” et enfin, un trucage le montre la tête au bout d’un corps de marionnette pour “Boys Keep Swinging”. 

 

Scary monsters, Super creeps, Keep me running, Running scared (Scary Monsters (And Super Creeps)”)

JobriathLe retrait de Bowie de la pop a donné le champ libre à divers concurrents très différents. En transformant le rock au début des années 70, Bowie a représenté un immense modèle pour de nombreux artistes, et l’émergence des clones n’a pas attendu l’année 1979 pour se manifester... Gary NumanDans ce qu’il y a eu de pire, relevons l’extra-terrestre que David Geffen, seigneur de l’industrie du disque, a créé dès 1973 en cherchant à faire un équivalent américain de Ziggy Stardust, sans hésiter à y mettre le prix fort pour la campagne publicitaire et les concerts où le chanteur porte des tenues grotesques. Sa création, nommée Jobriath (photo de gauche), a connu un bide aussi énorme qu’irrésistible. Mais en 1979, apparaît un certain Gary Numan (à droite) qui plagie le style de Bowie, sa façon de chanter ou d’écrire, son regard fixe, ses expressions faciales et autres mimiques, et reprend même sur scène le décor de ses derniers concerts (les néons de la tournée Stage). En très peu de temps, celui que les fans de Bowie considèrent comme un vulgaire imitateur devient surtout l’artiste solo ayant vendu le plus de disques en Angleterre, et donc, ironiquement, plus que Bowie lui-même! Ce dernier n’est pas du tout flatté et se sent même menacé par lui, ce qui le pousse à faire un nouvel album plus commercial et très annonciateur de son style à venir.

 

 

Scary Monsters (1980)Souvent copié, jamais égalé” devient le slogan de la campagne de publicité. Exit le hasard, les juxtapositions et le tarot musical d’Eno. Scary Monsters marque le retour de Bowie à un rock très hard et “traditionnel” mais pas encore exempt d’expérimentations. C’est surtout un album extraordinairement consistant! Sorte d’amalgame des différents styles exploités séparément par Bowie sur ses précédents disques, mais cette fois bien réfléchie, la musique est dense, impétueuse et proche de la saturation. L’orchestration rythmique est drue et puissante, et entraîne le disque comme une machine efficace et bien huilée. Le premier single utilisé pour la promotion montre que Bowie cible son public. En effet, il fait réapparaître Major Tom dans la suite directe de “Space Oddity” intitulée “Ashes To Ashes”. La plupart des paroles de l’album sont des aveux d’échecs plein de désillusions, et dans son nouveau tube magique le chanteur certifie cette fois que Major Tom n’est qu’un drogué, les vers sonnant comme une confession: “Do you remember a guy that's been, In such an early song, Ive heard a rumour from Ground Control, Oh no dont say it's true” [...] “We know Major Tom’s a junkie” [...] “I never done good things, I never done bad things, I never did anything out of the blue” (Vous souvenez-vous du type, Qui était dans une chanson si ancienne, J’ai entendu une rumeur du contrôle au sol, Oh non ne me dîtes pas que c’est vrai [...] Nous savons tous que Major Tom est un drogué [...] Je n’ai rien fait de bien, Je n’ai rien fait de mal, Je n’ai rien fait par hasard).

 

 

My mama said to get things done, youd better not mess with Major Tom (“Ashes To Ashes”)

David Bowie en PierrotBowie se focalise sur des personnages tordus (“Scary Monsters”, “Because You’re Young”) ou sur la société (“Fashion” comme le faisait “D.J”). Dans “Scream Like A Baby”, il dit: “And now I close my eyes, Now I'm learning to be a part of society” (Désormais je ferme les yeux, Et j'apprends à m’intégrer à la société) en bégayant sur le dernier mot qu’il n’arrive pas à prononcer en entier. Bowie, renforcé par une confiance lyrique, emmène l’auditeur dans son propre monde où il combat ses démons intérieurs. Réécrite de “Tired Of My Life” (une chanson très jolie, mais hélas inédite, qu’il a composée en 1969), “It’s No Game” (Ce n’est pas un jeu) ouvre et clôt l’album de façon assez révélatrice, d’abord jouée de façon néo-punk avec des paroles hurlées et mélangées à une voix japonaise féminine pour briser un certain type de sexisme, tandis que sa deuxième version est sobre, froide et désespérée. “Teenage Wildlife” est une longue épopée romantique ponctuée par des vocalises enveloppantes, où Bowie évoque pour la première fois les différences entre le monde actuel et la pop. Dans les paroles: “Same old thing in brand new drag, Comes sweeping into view, As ugly as a teenage millionaire, Pretending it's a whizz kid world” (Même vieux truc en vêtements neufs, Venant en grande pompe, Aussi moche qu’un adolescent millionaire, Qui prétend que l’on vit dans un monde de jeunes prodiges), on peut dire que le chanteur vise certainement Gary Numan. “Scary Monsters (And Super Creeps)”, diaboliquement efficace, devient sans surprise un grand tube. Enfin, le troisième morceau de cet album à devenir un tube, “Fashion”, condamne la banalité des publicités et se montre impitoyable envers les esclaves de la mode. Notons aussi que c’est Pete Townshend des Who qui nous délivre une intro percutante dans “Because You’re Young”.

 

 

Elephant Man (1980)Bowie devait douze albums à son ancienne maison de disques. Scary Monsters était le douzième, il est donc libéré de ses clauses mais est toujours contraint de partager ses gains avec son ancien agent, Tony De Fries, jusqu’en 1982. Bien entendu, en dehors de quelques collaborations, Bowie ne sortira pas d’album avant 1983. En attendant, le chanteur redevient acteur. Il répète sur les planches le rôle de John Merrick, personnage principal de la pièce tragique Elephant Man, écrite en 1977 par Bernard Pomerance, puis la joue d’abord à  Denver, ensuite à Chicago et enfin, à Broadway. Contrairement au film de David Lynch sorti dans l’année et qui n’en est pas une adaptation (il est basé sur le livre-témoignage de Sir Frederick Treves), la pièce a la particularité de présenter le personnage de Merrick sans aucun maquillage, l’acteur devant mimer les malformations. Elephant Man (1980)David Bowie fait des recherches sur la diction des handicapés, prononce son texte d’une voix affectée en détachant chaque syllabe, et se tord et se contorsionne pour suggérer la difformité. Apparemment, il s’est avéré excellent, et la critique comme le public est dithyrambique. Un certain Mark Chapman assiste à l’une des représentations et prend même David Bowie en photo à la sortie. Quelques nuits plus tard, pendant que Bowie est sur scène, le même Chapman tire à bout portant sur John Lennon à une centaine de mètres à peine du théâtre. La rumeur veut que Bowie aurait été le suivant sur la liste si Lennon n’avait pas été disponible ce soir-là. Le chanteur est très affecté par la mort aussi brutale d’un de ses meilleurs amis, et prend peur. Il devient moins accessible puis met un terme à la représentation d’Elephant Man un mois plus tard, en dépit du succès.

 

David Bowie / Givenchy 

 

Fashion, Turn to the left, Fashion, Turn to the right. (“Fashion”)

Annie LennoxL’ersatz de Bowie est toujours un phénomène au goût du jour. Depuis les années 70, Bowie et ses fans ont eu une influence considérable sur la mode des jeunes. Les éléments iconographiques de l’ère Ziggy, le duffle-coat de L’Homme qui venait d’ailleurs, le costume du Thin White Duke avec les cheveux rouges coiffés en arrière sous le chapeau, ou ses vêtements décontractés de la fin des années 70, ont constitué un modèle qui sera prolétarisé et récupéré par les créateurs de mode, encore aujourd’hui. À ce sujet, le magazine de mode online Zimbio place Bowie à la 5ème place des 100 personnalités les plus influentes sur la mode (derrière Levi Strauss, Givenchy, Coco Chanel et Louis Vutton, et devant Yves St Laurent, Elvis Presley, Karl Lagerfeld ou Mary Quant). Musicalement, les années 80 voient débarquer de nouveaux talents qui ont su se démarquer à l’inverse d’un Gary Numan, avec notamment des fans féminines comme Annie Lennox d’Eurythmics, véritable folle de David Bowie, qui apparaît dans ses clips les cheveux roux coupés courts et en empruntant le détachement du Thin White Duke, Kate Bush qui a étudié le mime avec Lindsay Kemp et dont sa gestuelle du clip de “Wuthering Heights” (1978) rappelle la prestation scénique de Ziggy, ou encore Grace Jones qui est alors considérée comme l’équivalent féminin de Bowie.

 

 Keanan Duffty

 

La Féline (Cat People, 1982)Durant l’année 1981, il joue dans une pièce mineure pour la BBC, Baal, adaptée de Bertold Brecht, pour laquelle il a enregistré des chansons (on retiendra surtout la très belle “The Drowned Girl” qui relate le suicide d’une compagne de Baal). Puis Bowie chante en duo avec Freddie Mercury pour Queen le tube “Under Pressure”. Enfin il enregistre la chanson “Cat People (Putting Out Fire)” avec Giorgio Moroder, thème principal du remake de La Féline de Jacques Tourneur par Paul Schrader, avec Nastassja Kinski. Quentin Tarantino réutilisera cette chanson quelques années plus tard pour son film de guerre Inglorious Basterds (2010).

 

 

Les Prédateurs (1983)En 1982, Bowie tourne deux films coup sur coup: Les Prédateurs (The Hunger) et Furyo (Merry Christmas, Mr Lawrence). Le premier, film-phare du mouvement gothique et du cinéma gay, marque les débuts de réalisateur de Tony Scott, le frère de Ridley dont on sent énormément l’influence dans ce qui est sûrement le meilleur film de Tony (le reste de sa carrière mérite moins le détour, à l’exception peut-être de True Romance écrit par Tarantino, et encore). David Bowie forme avec Catherine Deneuve un couple de vampires branchés, fréquentant les night-clubs à la recherche de proies à égorger. Mais son personnage commence subitement à ressentir les effets d’un vieillissement accéléré. Lumières bleutées, rideaux qui volent au vent filmés au ralenti, travellings énergiques, gros plans de cigarettes consumées... l’esthétique est certes inscrite dans ce qu’il y a de plus kitsch des années 80, cependant force est de reconnaître qu’il y a beaucoup de talent derrière. Dès que notre chanteur disparaît à la moitié du film, ce n’est pas tellement surprenant mais l’histoire devient un peu moins prenante, Furyo (1983)toutefois, avouons qu’il est difficile de ne pas apprécier au moins la scène saphique entre le personnage de Catherine Deneuve et celui interprété par Susan Sarandon. La bande originale comprend d’excellents choix musicaux très variés, entre le “Funtime” d’Iggy Pop et “Le Gibet” de Maurice Ravel. Bowie est évidemment très bon, et ce film donne un sang neuf au genre vampirique qui commence, bien avant Twilight, à sombrer...

Le second, réalisé par Nagisa Oshima (L’Empire des sens, L'Empire de la passion), est un film de guerre très politique, basé sur le choc des cultures entre l’Extrême-Orient et l’Occident. Il raconte l’affrontement et en même temps la fascination sentimentale entre deux soldats. D’un côté, Yonoi, un officier japonais interprété par Ryūichi Sakamoto, également auteur de la célèbre bande originale, qui est révélé au public internationnal grâce au film en même temps que Takeshi Kitano (dans un second rôle). De l’autre, Jack Celliers, un prisonnier anglais incarné par notre cher Bowie, lequel trouve même l’occasion de montrer le temps d’une séquence son talent de mime (enfermé dans une cellule, il fait semblant de se laver et de se raser devant ses gardiens étonnés). Les deux films, qui sortiront en 1983, seront tous deux présentés en même temps au Festival de Cannes. Bowie laissera de côté le premier, préférant défendre le second à la conférence de presse.

 

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En automne 1982, Bowie rencontre le guitariste et producteur Nile Rodgers, du groupe disco-funk Chic, dans un bar de New York. Bowie a changé de maison de disques, et il décide logiquement de commencer l’enregistrement d’un nouvel album à la fin de l’année, en Suisse, avec notamment Rodgers et le guitariste texan Stevie Ray Vaughan quil a découvert au festival de jazz de Montreux.

 
► Partie 3


64ème Festival de Cannes (2011)

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Un tapis rouge sur des pavés, des nominés qui grimpent une volée de marches sous les flashes, avec en haut un homme grand et sec (81 ans cette année), Gilles Jacob, qui attend pour leur serrer la main, les hommes en smokings et les femmes en robes longues, avec parfois une certaine hystérie, des bravos ou des polémiques... C’est une image de Cannes mais pas la seule. Cannes c’est aussi des rires, des pleurs, du glamour, des palaces réquisitionnés, du strass et du stress, des triomphes ou des bides, bref une longue histoire de passion et de fièvre. D’ici une dizaine jours, nous connaîtrons la sélection officielle du 64ème Festival et nous aurons sûrement la confirmation d’une annonce récente qui a excité la toile cinéphile, à savoir une projection d’Il était une fois en Amérique (Once Upon A Time In America, 1984) de Sergio Leone, avec semble-t-il quarante minutes supplémentaires! (Info, intox?)... Pour le moment, nous savons que Mélanie Laurent sera la Maîtresse de cérémonie, que Robert De Niro présidera le jury officiel, Michel Gondry celui des court-métrages et Emir Kusturica celui d’Un Certain regard. Et puis le film d’ouverture sera le dernier Woody Allen, Midnight in Paris. Enfin, Jean-Paul Belmondo sera l’invité d’honneur, avec la projection d’un documentaire sur sa vie intitulé Belmondo, itinéraire... réalisé par Vincent Perrot et Jeff Domenech. Très bon casting déjà.

L’affiche officielle vient tout juste d’être officialisée et on peut d’ores et déjà affirmer que c’est une des meilleures depuis des lustres!

 

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Très sobre, en noir et blanc excepté le texte comme vous pouvez le constater par vous-même, elle présente une Faye Dunaway encore jeune. Le cliché dorigine a été réalisé pour un film, Portrait d'une enfant déchue (Puzzle of a Downfall Child, 1970) de Jerry Schatzberg (auteur également de la photographie de laffiche), qui sera présenté cette année au Festival dans une version restaurée. Pour que jen parle, il faut croire que le poster de l’an dernier m’avait sûrement bien déçu, comme beaucoup dailleurs. Et pourtant il faut le faire, pour rater une affiche avec une belle actrice talentueuse comme Juliette Binoche. Et ils l’ont fait. L’actrice française posait en Valérie Damidot dans une esthétique surphotoshopée et bleutée, "à la Tron". Quelle différence!

Le Festival du Film International 2011 se tiendra du 11 au 22 mai. 

 

Jean-Paul Belmondo Robert De Niro Mélanie Laurent


David Bowie: partie 3

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► Partie 1

► Partie 2

 

Serious Moonlight Tour 1983Si David Bowie s’est jusque là montré extrêmement intuitif, et doté d’une aptitude particulière à percevoir avant les autres les tendances musicales à venir, Let’s Dance sera une tentative commerciale (réussie d’ailleurs) de capturer le son du moment plutôt que celui de demain. Avec son précédent album, Scary Monsters, il avait frappé fort: “Ashes To Ashes” est non seulement le plus grand tube de sa carrière à cette époque, mais il est aussi devenu un vidéo-clip novateur (son meilleur, encore aujourd’hui). Bowie l’a coréalisé avec David Mallet, un réalisateur avec lequel il retravaillera. Le clip de “Ashes To Ashes” est un sommet d’un genre encore balbutiant, emblématique des vidéos promotionnelles qui pulluleront dans les années 80. Difficile de faire mieux du point de vue commercial et pourtant Bowie va y parvenir. Lorsqu’il réapparaît en 1983, il a de nouveau changé de look. Cette fois, il a laissé tombé l’avatar du rocker défoncé pour apparaître en homme d’affaires vêtu d’un costume pastel, souriant, bronzé, les cheveux teints en jaune (et permanentés façon choucroute), totalement clean et dorénavant hétéro. Plus cynique et manipulateur que jamais, il va jusqu’à rejeter l’étiquette qui lui colle à la peau jusque là, déclarant que ses périodes d’excès, passées dans les pratiques bisexuelles et le nez dans la chnouf, étaient infondées. Bien entendu ses nouvelles déclarations sont fausses, mais désormais il incarne l’activiste de gauche, aristocratique, bien manucuré, bien dans sa peau, bien vivant, et qui compte bien jouer ce rôle jusqu’au bout!

Avec cette nouvelle image, pourtant froide et dure, sa popularité atteint de nouveaux sommets. Escroqué au milieu des années 70 dont il a failli sortir ruiné par MainMan et Tony DeFries, il vient déjà d’avoir sa revanche en redevenant très riche en très peu de temps, sans atteindre  encore  le record de fortune des Beatles ou des Rolling Stones, mais il va très vite les dépasser. Les années 80 démarrent en fanfare, sous le signe du triomphe, bien qu’aujourd’hui on mesure combien elles sont décevantes d’un point de vue artistique...

 

 

Let's Dance (1983)Dansons maintenant!

Les chansons de l’album le plus populaire de Bowie (encore aujourd’hui), Let’s Dance, ne sont pas aussi atroces que les critiques peuvent s’amuser à raconter de nos jours, par contre il est évident qu’elles affichent une certaine facilité. Certes, on sait qu’il y a de sacrés professionnels derrière, comme Stevie Ray Vaughan dont le talent a impressionné Bowie au festival de jazz de Montreux, et qui est encore un inconnu à l’époque, mais globalement ça reste très loin des mélodies et des rythmiques inspirées qu’on entendait dans les anciens albums de Bowie. En général, on ne retient que les trois premiers titres de cet album (qui n’en compte que huit), trois morceaux qui sont vite devenus d’immenses tubes.

Il y a d’abord “Modern Love”, très clairement le meilleur titre de Let’s Dance, un des meilleurs morceaux de Bowie et même le meilleur morceau de ses années 80 (Leos Carax l’utilisera en 1986 dans son film Mauvais sang, avec Juliette Binoche); puis “China Girl”, reprise du morceau d’Iggy Pop Serious Moonlight Tour 1983que Bowie avait coécrit et qu’on peut donc écouter (dans une meilleure version) sur l’album The Idiot; et bien sûr “Let’s Dance”, avec son ouverture-hommage aux chansons de rock’n’roll des années cinquante qu’affectionne Bowie, et le solo de guitare de Vaughan (écourté dans la version single pour MTV).

Pourtant, d’autres morceaux ne sont pas si anecdotiques. En l’occurrence “Ricochet” et “Criminal World” ont beaucoup de qualités et s’écoutent encore agréablement.

Let’s Dance mélange habilement et de façon contemporaine le disco de Nile Rodgers avec des influences venues du rock’n’roll, du blues, du jazz ou de la soul (un peu comme le faisait Bowie déjà sur Young Americans d’ailleurs). Les paroles, débarrassées de toute référence culturelle ou futuriste, n’ont pas vraiment d’intérêt.

On retiendra aussi les clips australiens présentant une vision tiers-mondiste avec des enfants exploités au travail (“Let’s Dance”), et une référence au cliché-choc du général Loan abattant froidement un prisonnier vietcong (“China Girl”). Sinon, ce disque est purement commercial et n’a pas très bien vieilli. La présence d’un “Cat People (Putting Out Fire)” plus funky que la version utilisée dans le film de Paul Schrader n’arrange guère les choses.

 

Youre face to face, With the man who Sold the World (“The Man Who Sold The World”)

TIME David BowieVendu à des millions d’exemplaires à travers le Monde, Let’s Dance explose les chiffres de vente. Parallèlement, Space Oddity, The Man Who Sold The World, Hunky Dory, Ziggy Stardust, Aladdin Sane, Pin-Ups, Young Americans, Diamond Dogs, Low ou "Heroes" sont tous ressortis à prix doux et caracolent en tête des classements de vente. David Bowie se retrouve avec plus de dix albums en même temps dans le hit parade, chiffre que seul un hommage à Elvis Presley a surpassé. Le chanteur a passé un accord lucratif avec son nouveau label, pour lequel il aurait touché environ 20 millions de dollars, et son salaire est alors le plus élevé jamais touché par un chanteur internationnal. Une immense tournée mondiale baptisée le Serious Moonlight Tour est annoncée.

La vente-éclair de tickets est encore un nouveau record. Promu mythe vivant, David Bowie a même le privilège de faire la couverture du très sérieux Time Magazine. La presse spécialisée quant à elle n’arrive plus à suivre, tout comme les fans de la première heure. Ils n’ont jamais rien vu de tel. Certains sont très fiers d’avoir été fan déjà avant, quand d’autres au contraire sont tellement déçus par ce nouveau Bowie commercial qu’ils décident de le boycotter.

 

Néanmoins, redécouvert par une nouvelle génération, Bowie compte un groupe de fans beaucoup plus large et il remplit les stades comme à l’hippodrome d’Auteuil où, deux soirs de suite, deux fois cent mille Français viendront lui faire un triomphe. Avec Michael Jackson et Bette MidlerGrand fan de la première heure aussi, Serge Gainsbourg ne tarde pas à lui rendre hommage par la voix d’Isabelle Adjani (“Beau oui, comme Bowie”, dans Pull Marine, le seul album de l’actrice), avant de faire appel à quelques-uns de ses musiciens et choristes pour faire Love On The Beat.

Bowie arrive sur scène en chanteur de cabaret, dégageant un flegme clinquant en costume flottant, et chante tous ses anciens tubes modernisés par des synthés et des cuivres. Le spectacle est un show de Las Vegas ambulant qui mobilise de nombreux techniciens de ville en ville, de pays en pays. C’est à la fois le cabaret, l’exotisme, le surréalisme, le modernisme ou la fête foraine sur scène. Bowie a laissé de côté les déguisements et les névroses mais réutilise parfois d’anciens numéros, comme par exemple celui de “Cracked Actor” avec les projecteurs de cinéma, la cape et le crâne de squelette, dans un style “Hamlet décontracté”, tiré de la tournée Diamond Dogs de 1974.

En coulisses, Bowie reçoit de nouveaux amis comme Cher ou Michael Jackson (photo, avec Bette Midler) et tire un trait sur d’anciennes connaissances. Le dernier concert de la tournée a lieu le 8 décembre à Hong Kong, avec un Bowie manifestement ému (chose rare) car c'est surtout le troisième anniversaire de la mort de John Lennon. Il conclut le show par la chanson “Imagine”.

 

bowie22 

À l’origine, un album live tiré du Serious Moonlight Tour aurait dû sortir, mais pour une raison ou une autre, il n’a jamais dépassé le stade du mixage.

Tonight (1984)Contraint par son nouveau label de sortir un album au plus vite, Bowie retourne sans aucune inspiration en salle d’enregistrement. Il s’y ennuie ferme et le résultat, intitulé Tonight (1984), est un album où le manque de motivation se fait très clairement entendre. La pochette, une sorte d’hommage au travail de Gilbert et Georges, doit sûrement décourager plus d’un acheteur, à juste titre.

Il n’y a que deux morceaux totalement signés par Bowie seul: “Loving The Alien”, le meilleur titre, encore écoutable aujourd’hui contrairement au second; “Blue Jean”, qui est cependant le tube de l’époque. Carlos Alomar, le guitariste de retour dans les troupes de Bowie, déclarera en interview que c’est le clip qui a vendu cette “putain de chanson”. En effet, au lieu d’un clip ordinaire, Bowie a opté pour un court-métrage réalisé par Julien Temple (futur réalisateur d’Absolute Beginners). C’est une comédie légère de 22 minutes où le chanteur joue deux rôles: celui de Vic, un fan ahuri, et d’une idole musicale nommée Screaming Lord Byron, parodiant ses avatars des années 70. Il est diffusé dans les salles de cinéma en ouverture du film La Compagnie des loups (The Company of Wolves, 1984) de Neil Jordan, à la télévision française sur la toute nouvelle chaîne Canal+, et une version écourtée sera utilisée sur MTV. Avec Tina Turner

Le reste de l’album est composé notamment de deux morceaux coécrits avec Iggy Pop, dont une qu’ils chantent en duo, “Dancing With The Big Boys” (en réalité le début de la chanson passe encore, c’est après un petit moment que ça devient dur de résister à l’envie de couper le son), et “Tumble And Twirl” qui n’est pas plus franchement extraordinaire.

Et puis, il y a les reprises: “God Only Knows” des Beach Boys (le sympathique morceau original a pourtant de quoi inspirer Bowie, mais cela s’avère finalement très paresseux malgré quelques envolées symphoniques intéressantes), “I Keep Forgettin” de l’obscur Chuck Jackson, et trois chansons du répertoire de l’iguane qu’il a coécrites (“Tonight” et “Neighbourhood Threat” de l’album Lust For Life) ou qu’Iggy Pop a écrit seul (“Don’t Look Down” de l’album suivant, New Values).

La reprise de “Tonight” en duo avec sa nouvelle conquête, Tina Turner (qui vient alors de retrouver le succès après une traversée du désert), est ce que Bowie a sûrement fait de plus désastreux au cours de sa carrière...

À peine sorti, le disque  est déjà désavoué par son auteur, et rien qu’avec ce seul album, Bowie perd une partie de son public acquis en 1983. Ses fans de la première heure commencent à le rejeter sérieusement.

Pour la première fois depuis les années 60, Bowie s’est avéré médiocre et faisant de mauvais calculs. Visionnaire au flair incroyable dans les années 70, il est passé d’artiste du présent en 1983 à homme du passé en 1984.

 

Avec Michelle Pfeiffer 

 

Le Jeu du faucon (1985)Le chanteur se dirige à nouveau vers le cinéma, interprétant le rôle du tueur Colin Morris dans une très bonne comédie noire (du même style quAfter Hours de Martin Scorsese sorti en même temps), Série noire pour une nuit blanche (Into The Night), avec lexcellent Jeff Goldblum et la sublime Michelle Pfeiffer, mis en scène par John Landis.    

 Son rôle est un peu plus consistant que les nombreux caméos de stars (dont plusieurs réalisateurs) que compte le film, comme David Cronenberg, Dan Ayckroyd, Don Siegel, Roger Vadim, Jim Henson ou Jonathan Demme.

Bowie 007L’année 1984 se termine sur une commande, toujours pour le cinéma: il enregistre la chanson du film de John Schlesinger Le Jeu du faucon (The Falcon and the Snowman), avec le guitariste de jazz new-age Pat Metheny et son groupe. Heureusement pour Bowie, cette chanson baptisée “This Is Not America” est plutôt très bonne et redore un peu son blason après la catastrophe de Tonight.

À cette époque, il refuse de jouer les bad guys dans l’épisode Dangereusement vôtre (A View To A Kill) de la saga 007 avec le vieillissant Roger Moore, pour la bonne raison qu’il trouve le scénario très mauvais (la photo d’illustration à gauche a été prise dans les années 2000, Bowie prend la pose bondienne juste pour la plaisanterie). De toute façon Christopher Walken, qui s’est teint et coiffé les cheveux “à la Bowie” pour l’occasion, le remplace magistralement dans le rôle de Zorin, aux côtés de Grace Jones...

 

Avec Terry BurnsL’année 1985 démarre tragiquement: son demi-frère Terry Burns (durant son adolescence à droite sur la photo), se suicide en s’allongeant sur une voie de chemin de fer.

La presse reproche l’absence de Bowie à ses obsèques. En effet, le chanteur a préféré ne pas y aller et envoyer simplement des fleurs, ainsi qu’une lettre d’à peine quelques lignes (“Tu as vu plus de choses que l’on ne saurait l’imaginer, mais tous ces moments seront perdus, comme des larmes emportées par la pluie. Dieu te bénisse – David”) qui sonnent étrangement comme les dernières paroles de Rutger Hauer à la fin de Blade Runner.

Malgré les graves problèmes psychologiques de son demi-frère et les appels de sa mère via la presse pour qu’il vienne le voir, Bowie est resté éloigné de sa famille depuis 1982, année où il a décidé de “filtrer” ses connaissances, niant son passé et le réécrivant sans arrêt, refusant même d’inviter ses anciens amis, les personnes qu’il a connu durant son enfance, ceux qui ont joué dans ses premiers groupes, son ex-femme Angie, etc. Il n’en a jamais parlé en interviews.

 

Summer's here and the time is right, For dancing in the streets (“Dancing In The Streets”)

Bowie invite Mick Jagger à enregistrer en duo avec lui une reprise du tube “Dancing In The Streets” des Martha And The Vendellas, qui s'avérera extrêmement médiocre (seuls les Van Halen auront finalement su en faire une excellente version rock) et tournent un clip kitschissime, histoire de montrer que le mouvement punk n’a pas eu raison des anciennes idoles du rock.

Bowie et Paul McCartneyEn juillet 85, le Live Aid, double concert à but caritatif organisé par Bob Geldoff, remplit le stade Wembley à Londres (et en même temps le J.F. Kennedy stadium de Philadelphie). La programmation est immense: entre les jeunes mais déjà extraordinaires Irlandais de U2, les Led Zeppelin qui se sont reformés pour l’occasion avec Phil Collins en remplaçant de John Bonham, Paul McCartney (photo), les Who, Elton John, Sting, Madonna, Bob Dylan, les Queen qui exécutent la prestation la plus appréciée du public, et notre chanteur qui propose également un spectacle formidable, notamment en chantant “"Heroes"” qu’il dédie à son fils, aux enfants du public et à tous les enfants dans le Monde”.

 

George Lucas, David Bowie, Jim Henson George Lucas, David Bowie, Jim Henson

 

 

The best of the last, the cleanest star they ever had (“Cracked Actor”)

Labyrinth (1986)En 1985 toujours, Bowie tourne dans deux films pour lesquels il compose également des morceaux de la bande originale. C’est d’abord une mauvaise comédie musicale britannique à gros budget, de Julien Temple, avec l’exquise Patsy Kensit, chanteuse des Eight Wonder. Absolute Beginnners décrit le monde de la jeunesse londonienne des années cinquante et les premières émeutes raciales. David Bowie incarne un publicitaire avide et cynique, et on peut le voir exécuter des claquettes. À éviter, donc. Il a composé trois chansons: une reprise du tube italien “Volare”, “That’s Motivation” et bien sûr la célèbre chanson-titre, seul vestige de toute cette entreprise, “Absolute Beginners”.

Déjà plus intéressant est Labyrinthe (Labyrinth), une comédie de science-fiction produite par Georges Lucas, écrite par Terry Jones des Monty Python et réalisée par Jim Henson, créateur du Muppet Show. David Bowie y incarne le rôle de Jareth, le roi des gobelins, aux côtés d’une adolescente déjà très talentueuse, Jennifer Connelly, tout juste sortie du chef-d’œuvre de Sergio Leone Il était une fois en Amérique (Once Upon A Time In America, 1984) et de Blah Blah Blah (1986)Phenomena (Dario Argento, 1985). Le charme kitsch de cette parodie d’œuvres fantastiques (Alice au pays des merveilles, Le Magicien d’Oz, entre autres), destinée aux enfants, fait toujours rêver petits et grands aujourd’hui, et garde un statut de petit film culte des années 80, même si dans le genre science-fiction avec marionnettes, Dark Cristal (1982, toujours de Jim Henson et coréalisé par Frank Oz) est meilleur.

Labyrinthe comporte en outre un deuxième degré de lecture, plus adulte, sur l’éveil de la sexualité chez la jeune héroïne, When The Wind Blows (1986)avec tour à tour l’attirance et la répulsion éprouvées vis-à-vis de Jareth, ce roi efféminé. La bande originale que David Bowie a composé avec Trevor Jones est un peu trop synthétique, mais on retiendra à la rigueur “Magic Dance”, ersatz de “Let’s Dance” pour les mioches.

En 1986, Iggy Pop sort son album le plus commercial (et depuis renié par son auteur), Blah Blah Blah, produit par Bowie qui a également coécrit cinq chansons dont la meilleure, “Shades”, même si elle sonne aussi pop que le reste du disque. Inécoutable aujourd’hui, “Real Wild Child (Wild One)” devient à l’époque un grand tube pop, le seul dans la carrière d’Iggy Pop.

La même année, Bowie enregistre la très bonne chanson-titre du film d’animation mélancolique et terrifiant When The Wind Blows de Jimmy T. Murakami. Le reste de la bande originale a été composée par Roger Waters des Pink Floyd. Murakami a imaginé une histoire glaçante montrant un hiver nucléaire perçu à travers le regard d’un couple de retraités anglais retranchés dans leur salon. Curieusement, ce très beau petit film reste méconnu.

 

 

Never Let Me Down (1987)Tonight n’a pas suffit, Bowie remet le couvert. Enregistré juste après les sessions de Blah Blah Blah et sorti en 1987, ce nouvel album est aussi insignifiant et bâclé de son prédécesseur, mais néanmoins plus dense et plus varié (le style musical dominant est une sorte de plastic reggae). L’abominable pochette, où Bowie saute au centre d’une piste de cirque regroupant des objets symbolisant chaque chanson, annonce la couleur de Never Let Me Down, et l’horreur commence dès le premier morceau, “Day-In Day-Out”, une pâle auto-parodie où la voix de Bowie n’a plus aucun style. On retiendra au moins le titre où il chante encore relativement bien: “Never Let Me Down”, titre ironique mais évidemment très évocateur, qui a finit par donner son nom au disque. 

On achève bien les chevauxSon clip réalisé par Jean-Baptiste Mondino, montrant une compétition de danse dans une salle de sport avec des couples exténués qui se forcent à danser sur la musique de Bowie, se réfère évidemment à On achève bien les chevaux (They Shoot Horses Don’t They?, 1969) de Sydney Pollack.

Pour quiconque ayant un minimum de bon goût, il est impossible d’écouter le reste de l’album en entier, ou sans grimacer, d’autant qu’un morceau comme “Too Dizzy” est tellement indigne de son auteur, tant musicalement que dans les textes, que Bowie l’a supprimé de la réédition de l’album dans les années 90.

Notons que dans “Shining Star (Makin’ My Love)”, Bowie a invité l’acteur Mickey Rourke, qui vient juste de tourner dans Angel Heart d’Alan Parker et qui est alors au top de sa popularité (durant sa période belle gueule du moins), pour lui donner la réplique dans une sorte de rap au milieu d’une chanson finalement pas si déplaisante, comparée au reste bien sûr.

 

 

Glass Spider TourPour tenter de renverser les critiques unanimement défavorables, Bowie prépare la tournée la plus chère et la plus ambitieuse de toute sa carrière, plus encore que celle de Diamond Dogs. Il demande à Pepsi d’en être le sponsor et tourne pour eux un spot publicitaire avec Tina Turner, ce qui choque beaucoup de monde vu l’opinion négative de Bowie sur l’impérialisme américain. Le Glass Spider Tour est un show démesuré, le plus grand jamais fait, tellement énorme que la majorité des spectateurs ne comprennent absolument rien à ce qui se passe sur scène.  

David Bowie, obligé de porter des costumes flashy histoire de se faire reconnaître, y apparaît minuscule, au milieu d’un immense bazar affreusement toc (une araignée géante surplombe la scène), effectuant des chorégraphies improbables, descendant sur scène en rappel ou attaché à un siège, et avec une tonne daccessoires inutiles.  

Glass Spider TourRien n’est laissé au hasard, tout est préparé, comme ces scénettes incompréhensibles entre lui et sa troupe de cinq danseurs-acteurs, avec Bowie qui parle et chante en playback, ce qui est une première dans son cas (il faut reconnaître qu’il est impossible de bien chanter tout en dansant) et forcément, tout sonne faux. Les écrans supposés retransmettre le show ne fonctionnent pas toujours, il y a également des problèmes de son et le beau temps n’est pas souvent de la partie (le comble pour un spectacle qui ne peut se jouer qu’en plein air).

Bowie a vu trop grand. En plus, la veille du concert à Dallas, une Américaine l’accuse de l’avoir violée, et qu’il se serait ensuite vanté de lui avoir refilé le Sida. L’affaire est grave et Pepsi décide de se retirer de la tournée. Bowie a bien eu des relations sexuelles avec cette femme, mais consenties. Il se soumet à un test de dépistage puis, six semaines plus tard, un grand jury rejette toutes les accusations de viol après deux heures d’audience. Mais l’immense campagne anti-Bowie qui en a découlé, menée par la presse et les tabloïds anglais, a eu des effets catastrophiques sur lui. Non seulement cette histoire l’affecte, lui personnellement et sa crédibilité, mais en plus la presse spécialisée critique violemment le nouveau disque comme cette tournée, tous deux jugés ennuyeux, pauvres en idées et déjà terriblement démodés.

 

Prayers they hide the saddest view (“Loving The Alien”)

La Dernière Tentation du Christ (1988)À la fin de l’année 87, Bowie remplace Sting initialement prévu pour jouer le rôle de Ponce Pilate dans un film de Martin Scorsese, La Dernière tentation du Christ (The Last Temptation Of Christ). Basé sur un roman éponyme de Nikos Kazantzakis, le film créera une grosse polémique en Amérique comme en France, où une salle de cinéma de Paris sera incendiée par un groupe de fanatiques catholiques, blessant plusieurs personnes. Notre chanteur donne la réplique à William Dafoe (qui interprète Jésus), et comme pour Série noire pour une nuit blanche, son rôle est court mais très convaincant. Le film comporte quelques qualités, notamment la distribution, la mise en scène et la superbe bande originale de Peter Gabriel.

Musicalement, David Bowie n’a pas attendu longtemps avant d’émettre lui-même des jugements sévères concernant sa production des années 80. Une fois sorti de la tournée Glass Spider, il s’est senti dépassé par son vrai/faux statut de rock star qui remplit les stades. Son attachée de presse lui a transmis une cassette démo de son mari guitariste, Reeves Gabrels. Impressionné, Bowie le rencontre. Gabrels est un fan de Bowie, mais pas de Let’s Dance ni des albums qui ont suivi. Il redonne espoir à un chanteur quarantenaire et alors conscient d’être dans une impasse artistique. Le guitariste le convainc de se diriger vers un son rock plus puissant. Bowie l’embauche, puis fait appel aux frères Sales (Tony à la basse et Hunt à la batterie) qui faisaient partie de la bande de Lust For Life, et décide de créer un groupe, un quatuor dans lequel il se dissimulera en tant que “simple” membre (au chant et à la guitare): Tin Machine. 

 

Tin Machine I (1989) Tin Machine II (1991)

 

 

Tin machine, Tin machine, Take me anywhere (“Tin Machine”)

Ils commencent par enregistrer des démos d’essais qui s’avèreront concluantes. Un de leurs premiers morceaux, “Now”, introuvable sauf en bootleg et sur YouTube, dans les deux cas en mauvaise qualité, est un excellent démarquage trash de “Look Back In Anger” (de Lodger) qui se transforme peu à peu en une ébauche du morceau “Outside” (Outside, 1995). La filiation entre les deux chansons est très claire dans cette version. Très influencés des Pixies, les Tin Machine sortent trois disques (Tin Machine I en 1989, Tin Machine II en 1991 et un concert, Tin Machine Live: Oy Vey, Baby en 1992), qui rencontrent peu de succès commercial mais qui permettent à Bowie de retrouver sa crédibilité rock.

Tin Machine 

De nos jours, certains critiques y voient même une anticipation sur le grunge et Nirvana. Le manque de succès du premier album pose quelques soucis avec la maison de disques, qui a plus de mal à accepter que Bowie préfère retourner en studio pour enregistrer un deuxième album avec ce groupe, plutôt que d’essayer de faire un nouveau Let’s Dance

À une époque où le hard rock des Guns n’ Roses domine les charts américains, Bowie, dans un énorme pas en arrière, semble renier sa personnalité et tout ce qu’il a fait, pour faire de son groupe une sorte de gang viril avec une ambiance chaotique, un son saturé et des textes machos comme celui de la chanson “Pretty Thing”: “Pretty little girl let your sweet thing sway (...), Tie you down pretend you're Madonna” (“Jolie petite fille laisse ta douce chose osciller... T’attacher, faire comme si tu étais Madonna”). Pour les journalistes comme les fans, Tin Machine est la troisième balle que Bowie se tire dans le pied après Tonight et Never Let Me Down (et bien sûr la tournée Glass Spider qui l’accompagne).
Entre les deux albums studios, Bowie est retourné sur les plateaux, mais d’abord ceux de la télévision où il a retrouvé John Landis pour le premier épisode de la deuxième saison de la série Dream On. Il y incarne un réalisateur cynique et antipathique, au fume-cigarette constamment vissé dans la bouche, et s’avère brillant et plein d’humour (sa dernière scène est hilarante). Bowie et MorrisseyAu cinéma, David Lynch fait apparaître brièvement sa silhouette fantomatique dans Twin Peaks: Fire Walks With Me, adapté de sa série télévisée. Il sessaiera aussi à la comédie au cinéma, avec beaucoup moins de succès, dans The Linguini Incident de Richard Shepard avec Rosanna Arquette. Le film est toujours introuvable et demeure inconnu aujourdhui.
David Bowie est l’invité-surprise d’un concert de Morrissey en 1991, pour chanter en duo avec lui “Cosmic Dancer” de T-Rex. Puis Bowie est redevenu Bowie le temps d’une grande tournée mondiale, intitulée Sound + Vision, durant laquelle il a rejoué tous ses standards du passé, et qui sera un franc succès.

 

 

Twin Peaks (1992)

 

S’il est vrai que les disques de Tin Machine ne marqueront pas l’histoire du rock, ils possèdent toutefois quelques bons titres comme “Crack City”, “Video Crime” ou “Baby Can Dance” (Tin Machine I), “Shopping For Girls”, “Amlapura” ou “You Belong In Rock & Roll” (Tin Machine II). Toutefois, le troisième disque (Oy Vey, Baby, jeu de mots avec Achtung Baby de U2) est un album live très bruyant et difficile d’accès. D’ailleurs à sa sortie en 1992, il n’entre dans aucun hit-parade, ni américain, ni anglais. Un journal britannique publie même une nécrologie de David Bowie en guise de critique...

Ainsi s’achève le court chapitre Tin Machine, de façon assez humiliante.

 

► Partie 4

Le Piège (The MacKintosh Man, 1973 - John Huston)

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The MacKintosh Man (1973)

 

The MacKintosh Man (1973)Joseph Rearden (Paul Newman) met au point un vol de diamant à la demande d’Angus MacKintosh (Harry Andrews), un des chefs des services secrets britanniques, et sa secrétaire, Mme Smith (Dominique Sanda). Le vol est accompli, tout se passe comme prévu mais Rearden est dénoncé, mis aux arrêts, puis jugé à vingt ans de prison.

 

Le scénario de Walter Hill est une adaptation d’un roman de Desmond Bagley, The Freedom Trap, inspiré de l’histoire vraie d’un agent double, George Blake, qui a travaillé au Royaume Uni pour le compte de l’Union soviétique pendant de nombreuses années. Blake s’est fait démasqué au début des années 60, puis a été jugé et condamné à une lourde peine de prison, avant de réussir à s’évader et à passer à l’Est. Walter Hill est alors un scénariste débutant et jeune protégé de Peter Bogdanovich (pour qui il a massacré le roman de Jim Thompson Guet-apens, adapté non sans mal par Peckinpah et dont vous trouverez la chronique sur le blog). Les deux hommes, bien qu’ayant des rapports très cordiaux, ne s’entendent absolument pas sur l’histoire. Hill cherche plutôt à faire un divertissement dans le style de La Mort aux trousses (North By Northwest, 1959). D’ailleurs, la véritable histoire de George Blake est le sujet même du dernier projet cinématographique d’Alfred Hitchcock, mort avant d’avoir pu le réaliser. Huston veut faire quant à lui une histoire plus sérieuse.

 

The MacKintosh Man (1973) The MacKintosh Man (1973)

 

Comme Walter Hill le confiera plus tard, son scénario d’origine ne se retrouve qu’en partie dans la première moitié du film, alternant avec des idées de John Huston et de sa coscénariste Gladys Hill (qui n’a aucun lien de parenté avec Walter). Ces derniers ont réécrit intégralement toute la seconde partie du film, la fin ayant même été rédigée durant la dernière semaine de tournage. Hill est cependant crédité seul au générique. Bien d’autres n’auraient pas hésité à rajouter leur nom (parfois même cité avant l’auteur original) pour moins que ça. C’est intéressant de remarquer que John Huston ne semble pas être ce genre de réalisateur.

 

The MacKintosh Man (1973) 

Le spectateur attentionné a peut-être remarqué certains clins d’œil subtils et ironiques aux romans et surtout  films d’espionnage populaires dont il se démarque. Par exemple, lors du premier entretien entre Rearden et son chef:

 

“Tell me, what is the most outstanding property of the diamond?

- Come again?

- The diamond.

- It’s forever.

 

(“Dîtes-moi, quelle est la propriété la plus étonnante du diamant?

- Je vous demande pardon?

- Le diamant.

- Il est éternel.”)

 

Au moment du tournage, Les Diamants sont éternels (Diamond Are Forever) est le dernier film de la saga 007. Plus tard, Rearden se permet une remarque, toujours sur un ton détaché, en entendant le nom/pseudonyme de lun des personnages (à ce moment-là, il se fait passer pour un voyou extérieur à cet univers de fausseté).

 

“Mr. Brown would like to see you.

- Mr. "Brown"? Not really.

- Of course not.

 

(“Monsieur Brown voudrait vous voir.

- Monsieur "Brown"?... Pas vraiment.

- Bien sûr que non.”)

 

The MacKintosh Man (1973)

Enfin, notons le passage qui est peut-être le plus allusif aux films d’espionnage populaires, toujours avec beaucoup de subtilité. Il s’agit de l’échange entre Rearden et Mme Smith, après une poursuite en voiture au cours de laquelle leurs poursuivants disparaissent dans la mer:

 

“Do you think they can swim, Mr. Rearden?

- I hardly think that matters, Mrs. Smith.

 

(“Pensez-vous qu’ils savent nager, M. Rearden?

- Je ne pense pas que cela ait de l’importance, Mme Smith.”)

 

La façon dont ils sont cadrés, l’un et l’autre tournés vers la caméra, sans se regarder, ainsi que cette remarque pince-sans-rire de Mme Smith (leurs poursuivants sont forcément morts après la chute dans l’eau) et bien sûr la répétition de leur nom en fin de phrase, tout cela évoque les mauvais films ou les séries télévisées, où le duo de héros concluent leur mission par un très court échange de répliques humoristiques plates, voire navrantes. La réponse de Rearden semble indiquer une certaine volonté (du cinéaste) de couper court à cette forme d’humour. Malgré une certaine légèreté à quelques endroits et le cynisme que le réalisateur manifeste dans sa description des personnages, le film ne sombre pas dans la parodie simpliste et ce passage par exemple n’installe pas une distance avec le spectateur, au contraire. Comme le héros brillamment interprété par Paul Newman, qui peut paraître décontracté à certaines occasions mais qui s’avère extrêmement sérieux le reste du temps, le film s’inscrit entièrement dans le genre film d’espionnage, et il est même très efficace.

 

The MacKintosh Man (1973)

Efficace, la réalisation de John Huston l’est indéniablement. Qu’il s’agisse de la scène de l’attaque du facteur, tournée en un seul plan, démarrant et se terminant par un zoom, ou la scène de l’émeute dans la cour de prison servant à couvrir l’évasion de Rearden, avec ses mouvements de caméra allant et venant entre les protagonistes, ou encore la scène de poursuite en voitures dans la lande irlandaise, ce film est une vraie leçon de mise en scène. Chaque plan est très soigné et minutieusement mis au point.

 

The MacKintosh Man (1973) The MacKintosh Man (1973)
The MacKintosh Man (1973) The MacKintosh Man (1973)

 

Les archives du tournage montrent un John Huston en forme, directif, et sûrement plus à l’aise ici que sur certains tournages plus considérables. Le thème de Maurice Jarre est certes très bon mais néanmoins un peu trop envahissant par moments. Cest le seul défaut que je relève au final, car jaime énormément ce film.

 

Malgré ses nombreuses qualités, il n’a pas marché à sa sortie et demeure aujourd’hui assez méconnu. J’espère que cette courte chronique donnera envie soit de le découvrir soit de s’y replonger, car il peut certainement figurer en bonne place parmi les réussites artistiques de John Huston.

 

The MacKintosh Man (1973)

Le Piège (The MacKintosh Man). Un film de John Huston. Avec Paul Newman, Dominique Sanda, James Mason, Harry Andrews, Ian Bannen et Peter Vaughan. Scénario de Walter Hill, et John Huston & Gladys Hill (adapté du roman de Desmond Bagley, The Freedom Trap). Photographie d’Oswald Morris. Musique de Maurice Jarre. Produit par John Foreman et William Hill. Réalisé par John Huston.

What's My Line? (1950-1967)

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Initialement intitulée Occupation Unknown, What’s My Line? était une émission proposée en "prime time" par CBS de 1950 à 1967, qui connut plusieurs versions internationales. Aux États-Unis où elle est née, elle demeure l’émission ludique qui a duré le plus longtemps. Il s’agissait pour un quatuor d’intervenants de trouver le métier ou l’occupation d’un invité, par une série de questions-réponses. Dans le cas d’un invité-mystère (ou "mystery challenger" tel que le nommait le présentateur), le jeu consistait à retrouver les yeux bandés de quelle célébrité il s’agissait. En dix-sept ans, beaucoup de stars de cinéma sont passées par cette émission. En voici quelques-unes (notons qu’il existait une version radiophonique où sont notamment passés Marlene Dietrich et Marlon Brando)...

 

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Elizabeth Taylor, 14 novembre 1954, pour La Dernière Fois que jai vu Paris (The Last Time I Saw Paris).

 

 

Vincent Price, le 9 mars 1958.

 

 

Steve McQueen, 18 décembre 1966, pour La Canonnière du Yang-Tse (The Sand Pebbles).

 

 

Alfred Hitchcock, 12 décembre 1954, pour Rear Window.

 


Woody Allen, 8 janvier 1967, pour Casino Royale.

 

 

Groucho Marx, le 15 novembre 1963.  

 

 

Lauren Bacall, 8 novembre 1953, pour Comment épouser un millionnaire (How to Marry a Millionaire).

 

 

 

Kirk Douglas, 20 décembre 1953, pour Un Acte damour (Act of Love) dans lequel il parle français comme il l’évoque à la fin.

 

 

Paul Newman (avec David Niven parmi les intervenants), 25 janvier 1959.

 

 

Yul Brynner, 6 janvier 1957.

 

 

Walt Disney (avec Jerry Lewis en intervenant), 11 novembre 1956.

 

 

Et bien d’autres encore, je vous encourage à regarder dans la mine d’or de YouTube!

64ème Festival de Cannes (2011)

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Je m’écarte pour la seconde fois d’une règle que je m’étais fixé (de ne pas parler d’actualité cinématographique puisque ce n’est pas le but de ce blog), car cette année, magnifié par Faye Dunaway dans une superbe affiche en n&b et Mélanie Laurent annoncée comme Maîtresse de Cérémonie, le Festival de Cannes s’annonce plutôt enthousiasmant.

 

Aujourd’hui, à vingt-sept jours de louverture de la cérémonie, la liste des sélectionnés a été publiée.

 

En vrac:

 

midnight.jpg 

MIDNIGHT IN PARIS de Woody Allen (hors-compétition) sera projeté en ouverture,

 

En compétition:

LA PIEL QUE HABITO de Pedro Almodovar,  

L'APOLLONIDE - SOUVENIRS DE LA MAISON CLOSE de Bertrand Bonello,

PATER dAlain Cavalier,

HEARAT SHULAYIM (Footnote) de Joseph Cedar,

BIR ZAMANLAR ANADOLU'DA (Once Upon A time In Anatolia) de Nuri Bilge Ceylan,

LE GAMIN AU VÉLO de Jean-Pierre et Luc Dardenne,

LE HAVRE dAki Kaurismäki,

HANEZU NO TSUKI de Naomi Kawas, 

SLEEPING BEAUTY de Julia Leigh dont cest le premier film,

POLISSE de Maïwenn,

LA SOURCE DES FEMMES de Radu Mihaileanu,

ICHIMEI (Hara-Kiri: Death Of A Samourai) de Takashi Miike,

HABEMUS PAPAM de Nanni Moretti,

WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN de Lynne Ramsay,

MICHAEL de Markus SCHLEINZER dont cest le premier film,

THIS MUST BE THE PLACE de Paolo Sorrentino,

MELANCHOLIA de Lars Von Trier,

REFN DRIVE de Nicolas Winding,

Et enfin, peut-être le plus attendu de tous les cinéphiles, THE TREE OF LIFE de Terrence Malick.

 

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Une liste très intéressante avec néanmoins beaucoup dhabitués, mais des bons (Almodovar, Ceylan, Dardenne) ou presque (Von Trier). Le 17 mai aura lieu un hommage à Jean-Paul Belmondo, en sa présence et de celles (annoncées) de ses amis du Conservatoire, comme Jean Rochefort, Claude Rich ou Jean-Pierre Marielle. Le réalisateur italien Bernardo Bertolucci recevra une Palme d’Or d’honneur...

 

64eme

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